XVII. Damoiselle Rose, par la réalité - et le manque de sommeil - rattrapée

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L'intérieur de la hutte possédait le même côté sauvage et ancien que le reste du village, comme si tout cela, ces étranges bâtisses infundibuliformes et ces indiens aux visages burinés par le temps s'étaient trouvés sur l'Île depuis toujours. À chaque pas, à chaque seconde, Rose sentait un peu plus précisément qu'elle s'apprêtait à trouver les réponses recherchées, ici même, auprès de ces gens à la fois si semblables et si différents des membres de sa propre famille. Elle craignait toujours pour Olivier, certes, mes ces craintes se trouvèrent bientôt surpassées par son impression de toucher au but, de se trouver sur le point de comprendre tous les secrets entourant aussi bien Gaïa que sa propre nature hybride.

– Soyez les bienvenus, jeunes voyageurs.

La dénommée Inga les attendait dans la pénombre de sa demeure, assise en tailleur sur une natte de feuilles de palme tressées. Sombre et belle, il aurait été difficile de déterminer son âge. Sa minceur et la santé qui émanait de son corps laissaient à croire que la jeunesse l'habitait encore, mais ses yeux verts en amande – verts comme ceux de Rose, verts comme ceux de Gaïa – laissaient paraître une trop grande sagesse pour un si jeune corps, s'obombrant de toute la noirceur que les années permettent de discerner au fond des cœurs humains.

D'un geste de la main, Inga invita les cinq arrivants à prendre place en arc de cercle autour d'elle, tandis qu'un autre indien – indéniablement jeune, celui-ci, et de sexe masculin vu la largeur de ses épaules – s'introduisait entre les pans de peau qui fermaient l'entrée de la hutte, portant une carafe dont s'échappaient les odeurs épicées d'un breuvage inconnu.

Rose ne reconnut ses traits que lorsqu'il lui fit un clin d'œil, sous ses peintures rituelles qui traçaient autant de lignes blanches sur son visage, descendant jusque sur son torse pour souligner les lignes de ses muscles saillants. Aguaje ! Aguaje venait de les rejoindre, et il posait toujours sur Rose le même regard brûlant de passion. Il s'assit un peu en retrait, non sans avoir salué Edelweiss avec enthousiasme, et laissa Inga servir à chacun de ses invités un peu du breuvage exotique.

– Voici l'eau des arbres et des fleurs, l'eau magique qui donne longévité et santé à nos corps hybrides. Les humains la boivent sans ressentir la magie de ses effets, mais pour nous, les esprits des plantes...

Elle laissa sa phrase en suspens, mais sa voix grave, aussi profonde qu'un puits sans fond, continua de résonner longtemps après que ses lèvres se soient scellées à nouveau. Agissant avec grâce et lenteur, elle tendit un petit gobelet taillé à même le bois et délicieusement ouvragé à chacun de ses invités, leur présentant ce cadeau de bienvenue en signe d'amitié.

Rose n'hésita pas un instant au moment de boire le contenu de son gobelet, attirée par les reflets malachite de la boisson. Elle sentit une agréable brûlure courir sur ses lèvres lorsque le liquide entra en contact avec sa peau – mais pas une brûlure ordinaire ; une brûlure étrangement glaciale, engourdissant ses sens et exaltant son esprit. Elle ne put s'empêcher de plisser le nez, non pas en signe de dégoût, mais car elle était surprise par la puissance du breuvage, qu'elle sentait déjà se répandre dans son corps et sillonner ses veines, se mêlant à la sève. Edelweiss et Chardon affichèrent les mêmes grimaces, et Valerian s'efforça d'en dessiner une, pour la forme, même s'il était évident qu'il ne ressentait strictement rien – non, il ne descendait définitivement pas des mêmes créatures hybrides que les jeunes femmes. La réaction d'Olivier fut plus étrange, elle. Ses traits ne se tordirent pas, mais il afficha néanmoins un visage surpris, portant une main à sa gorge. Rose craignit un instant que le breuvage ne l'ait empoisonné, paniquée par la fixité du regard de son amant, mais celui-ci finit par reprendre ses esprits et se comporta tout à fait normalement par la suite.

Le verre de l'amitié échangé, Inga leur posa une question, une seule :

– Vous êtes venu à cause de Gaïa, notre terra mater ?

Rose ne put s'empêcher de froncer les sourcils, étonnée de voir que la belle indienne avait su deviner les motifs de leur visite si facilement. Valerian la prit cependant de vitesse, méfiant.

– Comment le savez-vous ? demanda-t-il.

– Je sais qu'elle s'est prise d'affection pour votre tribu, et vit auprès des vôtres, répondit doucement Inga. Aguaje ici présent s'est chargé de vous approcher pour ramener les informations nécessaires à propos des agissements de notre terra mater, durant les derniers mois écoulés.

À ces mots, Edelweiss lança un regard accusateur au jeune indien, qui haussa les épaules d'un air désolé. Cela ne suffit cependant pas à le racheter aux yeux de l'adolescente, qui venait sans doute de réaliser que cet homme qu'elle considérait comme un ami proche n'était en fait qu'un vulgaire espion. La blondinette articula d'ailleurs quelques mots, que Rose lut sur ses lèvres d'un air distrait. « Je vais te choper, t'étriper, couper chaque partie pendouillante de ton corps et te les faire manger avec de la banane », disait-elle.

– Gaïa a dû vous exposer sa volonté de mourir, j'imagine, reprit Inga, ne tenant aucunement compte du règlement de compte silencieux qui avait lieu présentement entre Edelweiss et Aguaje.

Rose et Chardon confirmèrent d'un signe de tête, car les garçons ne semblaient plus aptes à répondre non plus – Valerian boudait et ne répondait plus, et Olivier semblait perdu dans d'autres pensées.

– Ses envies de trépas sont précisément ce qui nous conduit vers vous, murmura Rose. Nous voulons en apprendre plus sur son compte, et sur la raison qui la pousse à jouer les agents doubles auprès de Donatien de Tantale. Elle soutient son projet de mine à ciel ouvert, vous savez. Avez-vous seulement la moindre idée de ce qui la motive à agir de la sorte ? Cette mine ne suffirait pourtant pas à la tuer – à tuer l'Île – n'est-ce pas ?

Les yeux verts flamboyants d'Inga se ternirent, comme si le désespoir prenait soudain le pas sur l'extraordinaire énergie qui émanait de son être.

– La mine suffirait, avoua-t-elle. Elle a trop bien calculé son coup. Demain, lorsque vous serez reposés et que le soleil brillera sur nos arbres, nous vous emmènerons en ce sombre sanctuaire. Alors, vous comprendrez.

Elle congédia ses jeunes invités d'un signe de la main, priant Aguaje de s'assurer qu'ils ne manquent de rien pour la nuit à venir.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierWhere stories live. Discover now