XVII. Damoiselle Rose, par la réalité - et le manque de sommeil - rattrapée

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La situation se corsa cependant un peu lorsque lesdits canards en plastiques entreprirent une audacieuse tentative d'évasion, s'éparpillant dans les eaux rapides de la rivière et fuyant à droite et à gauche. Les quatre compagnons d'Edelweiss furent alors mis à contribution pour sauter à l'eau et nager à la rescousse des canetons fuyards, qu'ils eurent toutes les peines du monde à réunir. L'un d'eux – celui que chassait Rose – connut d'ailleurs une fin tragique, atterrissant entre les crocs aiguisés d'un alligator qui bâillait à quelques encablures de là. Personne ne se porta volontaire pour aller le récupérer, pas même Edel, qui fit toutefois part de lourds reproches à sa sœur aînée.

Le crépuscule posait son voile sombre sur une journée éclatante, emplie de bonne humeur et d'insouciance, et ce malgré les évènements dramatiques qui avaient poussé les cinq jeunes gens à prendre la route, quand les premières traces de présence humaine se firent assez marquantes pour que Rose les perçoive.

Ce fut tout d'abord un simple chemin de terre battue, sur la rive ; puis un arbre abattu pour permettre un passage plus aisé ; un petit pont de cordages et de planches ; et enfin, une silhouette humaine, droite et sérieuse dans le crépuscule. Rose se sentit pénétrée par ce regard trop perçant, et fut obligée de détourner les yeux. Aguaje. Aguaje était là, ce qui signifiait que les licornes du bayou leur avaient permis de parcourir en une seule journée – interrompue par la chasse aux canards fuyards – le chemin qu'ils prévoyaient de traverser en sept jours, armés de leurs seules pirogues.

– Lauren et ses copines font décidément d'excellentes montures ! s'exclama joyeusement Edel, qui après la mort tragique de l'un de ses canetons, s'était consolée en nommant toutes les licornes du bayou – si Rose se rappelait bien, la sienne devait désormais répondre au doux surnom de Niniann.

Les autres ne purent qu'acquiescer, impressionnés eux aussi par la vitesse avec laquelle les splendides créatures équines les avaient transportés jusqu'au cœur sauvage de la jungle. Puis, un silence plus pesant s'empara d'eux, à mesure qu'ils approchaient de ce fameux village de ces indiens qui vivaient en communion si étroite avec la nature qu'ils l'accueillaient même en leur corps, partageant ainsi la même nature hybride que Rose, Edelweiss et Chardon.

Ils furent cernés de corps à la peau sombre et de regards fiévreux aussitôt après avoir mis pied à terre. Un peu impressionnée, Rose se dissimula derrière les silhouettes plus massives d'Olivier et Valerian, ainsi que le faisait Chardon. Il n'y eut qu'Edelweiss pour se sentir à l'aise au milieu de ce comité d'accueil des plus insistants, riant et bavardant avec chacun d'entre eux comme s'il s'agissait de vieux amis.

Les indiens n'eurent même pas besoin de leur demander ce qui pouvait bien conduire quatre colons blancs au cœur de leurs terres. Ils décrétèrent simplement qu'Inga allait les recevoir, et les entraînèrent vers une hutte de branches entremêlées, plus grande et plus belle que les autres. En chemin, Rose tâcha de stimuler sa mémoire pour se rappeler en quoi le nom d'Inga lui évoquait quelque chose, mais elle ne parvint pas à trouver la source du souvenir ; ce fut Olivier qui le lui souffla.

– Mon père a évoqué cette Inga le soir où vous avez mangé en notre compagnie, murmura-t-il à l'attention de la rouquine. Elle faisait partie de ces émissaires indigènes venus le supplier de reconsidérer la construction de la mine de charbon à ciel ouvert.

Les lèvres de Rose s'arrondirent en une légère exclamation de surprise, et elle réalisa en même temps qu'Olivier s'était probablement mis en danger en les accompagnant ici : les indiens n'avaient qu'à tendre la main pour tenir captif le fils unique de l'homme qui menaçait de détruire leur forêt. Mieux valait taire son identité.

Elle parvint à souffler l'information à Valerian et Chardon, qui agréèrent d'un signe de tête discret, mais ne put mettre la main sur Edelweiss à temps. Sa demi-sœur s'était déjà engagée dans l'immense hutte végétale, disparaissant hors de portée. Il faudrait compter sur son bon sens pour protéger Olivier – chose qui paraissait certes un peu risquée, mais Rose se trouvait parfois prise d'élans d'optimisme.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant