Chapitre VII - Partie 1.

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Elle appuya un peu sur sa joue pour la sentir enflée sous ses doigts, s'amusant de cela à défaut d'avoir trouvé autre chose à faire. Dans un instant de solitude, Numéro Sept s'était essayée, ayant appris à lire aux côtés du Directeur, à consulter un livre venu du monde extérieur. Mais c'était ennuyeux : il n'y avait pas d'action, pas de violence et elle se sentait comme un animal en cage. C'était une cage dorée : sa cellule individuelle était propre et spacieuse. Il y avait un certain confort, notamment un futon pour dormir, une nourriture correcte et surtout, une baignoire. Elle était à température ambiante et l'eau n'avait rien de celle des douches habituelles, qui vous glaçait la peau, la martelait même lorsque son impulsion était trop forte. C'était un endroit certes plaisant, parce qu'elle l'avait mérité. Mais la gagnante, isolée de ses pairs après le déroulement de l'épreuve, ne pouvait plus voir ni tuer personne, et c'était ce qui la rendait la plus triste au monde. Elle passait ainsi son temps à jouer avec ses blessures qu'on avait soigneusement réparées, à recompter sans cesse le nombre de ses victimes, indélébile tatouage qui recouvrait la peau de son abdomen. Puis à heure fixe, elle avait sa prise de traitements : ces médicaments dégoûtants qui empêchaient son crâne d'exploser de l'intérieur. Celui qui les apportait, elle ne l'aimait pas; personne ne l'aimait, en vérité. C'était l'infirmier en chef de l'Aile 3 mais elle préférait l'appeler tortionnaire, parce qu'il avait pour coutume de la maltraiter sans aucune raison, et sans autorisation. Il semblait la détester, elle principalement, d'une manière parfaitement naturelle qui n'avait aucune explication et, chaque fois qu'il la voyait victorieuse, il devenait plus amer encore qu'à son habitude. Cette fois-là, l'homme était particulièrement disposé à mener un petit jeu sadique. Il s'approcha d'un pas calme de la cellule, s'accroupissant volontairement pour lui rappeler sa petite taille, et tendit les comprimés à travers les barreaux. Alors qu'elle cherchait à les atteindre, il les éloignait brutalement, les agitant au-dessus de sa tête pour s'en moquer ouvertement.

- Tu les veux ? Vas-y, attrape ! Allez vas-y... Fais la belle, qu'est-ce que t'attends ?

Comme un animal. Étirant la main de toute sa force et se plaquant presque contre les sa prison, Numéro Sept se sentit humiliée. Elle avait sa dignité, merde ! Pourquoi devait-elle s'abaisser à cela ? L'envie de résister, elle l'avait; mais comment se le permettre lorsque ces terribles maux de tête la menaçaient ? Elle s'approcha davantage, tendit le bras et échoua, encore. L'autre s'était mis à rire avec mépris; il lui jeta la boîte à travers les barreaux et ouvrit sa cellule pour y entrer. C'était l'un des rares employés à ne pas la craindre et à oser entrer en contact avec elle.

- Je me baisserai pas pour ramasser ça, revendiqua-t-elle froidement alors que leurs regards se croisèrent. Je suis pas un animal.
- Non tu as raison, tu es bien moins que ça... Les animaux, on a pas le droit de les torturer !

L'adolescente serra son poing pour intérioriser sa rage, et le mot «Enfoiré» effleura brièvement ses lèvres. Il faisait désormais le tour de l'espace en soupirant occasionnellement, donnant un coup de pied gratuit dans sa couche et jetant son petit livre en arrière.

- Tout ce confort, c'est ridicule... T'es un putain de cobaye, tu devrais pas avoir des droits pareils ! Surtout pas à une cellule privée. Tu sais qu'à cause de toi et de tes victoires de merde, on perd quinze mille occasions de faire des expériences intéressantes ? Petite conne !

Soudainement enragé, il la saisit par les cheveux et sans le moindre préavis, lui plongea la tête dans la baignoire. Celle-ci était pleine : elle se débattit mais il avait une sacrée poigne et la maintenait sans pitié. L'eau, comme elle ne parvenait pas à le remonter à la surface, lui submergeait le visage et elle la sentit, lentement, qui s'infiltrait dans ses poumons. Une atroce sensation de brûlure interne l'envahit, puis elle lutta contre une pression au niveau de sa poitrine. C'était une douleur pesante à laquelle on pouvait difficilement résister : ses propres gémissements, elle-même ne les entendait pas, puisque tous les sons qu'elle produisait semblaient s'atténuer. Victime de sa panique, Numéro Sept refusa pourtant de se résigner : elle agita les jambes et les bras, attrapant l'impalpable, s'épuisant pour un rien et ne parvenant pas à s'extirper de ce calvaire. Chaque fois qu'elle se sentait manquer davantage d'air, elle prenait par réflexe une grande inspiration. Mais c'était alors pire puisque cela faisait pénétrer plus d'eau encore, la confinant dans cet horrible suffocation. Elle se débattit encore un peu. Ses membres néanmoins, se faisaient de plus en plus faibles et lourds. Ils sombraient un peu vers le bas tandis qu'elle s'évertuait à garder le reste de son corps à l'extérieur. Sa vue déjà peu sollicitée se brouillait comme elle commençait à fatiguer, et elle n'entendait plus rien. Même les râles légers qu'elle émettait en voulant hurler s'étaient éteints. Cette impression de noyade, c'était comme une lame aiguisée qui lui transperçait tout le thorax, et qui de surcroît l'étouffait à petit feu. Ce qui l'inquiéta le plus fut le grand froid qui se déclara à l'intérieur de son corps. Bientôt, elle perdrait conscience et mourrait, car elle chutait longuement vers le fond et ne parvenait même plus à bouger. Mais son tortionnaire se montra clément -ou trop cruel peut-être pour la laisser mourir-, et la délivra au dernier moment en tirant violemment sur ses cheveux. Juste avant qu'elle ne s'évanouisse : il avait prévu son coup, le salaud... Retrouver le contact avec l'oxygène lui fut une véritable souffrance. A sa première bouffée d'air, elle sentit que ses poumons se déchiraient et crut qu'ils allaient perforer sa poitrine pour s'en échapper. Elle respirait le plus rapidement du monde mais trouvait pourtant cela inutile, ayant l'impression de ne même pas pouvoir reprendre son souffle. Son visage était trempé, sa peau blanche et son corps tout tremblant; elle cracha, dans un cri silencieux, toute cette eau qui avait envahi son corps et lui causait encore tant de maux. Elle se laissa tomber sans forces sur le dos, tentant d'inspirer cet air plus sain. Des tâches noires ou blanches compromettaient sa vision et lui martelaient la tête : sans doute était-ce son pauvre cerveau qui, privé d'oxygène, s'était décidé à lui jouer de mauvais tour. Son cœur aussi trouvait l'idée de se rebeller plaisante et battait à un rythme olympique, lui arrachant quelques gémissements affaiblis de temps en temps. Ce qui grandissait avec sa douleur surtout, c'était sa haine. Elle fixait l'homme de ses yeux mi-clos et lorsqu'une voix pâle lui revint, elle n'hésita pas à lui proférer quelques menaces de mort :

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