4. Le cauchemar a commencé

1.2K 131 53
                                    

La lumière automatique vient de s'allumer à nouveau dans le couloir, illuminant l'homme couvert de sang qui vient de faire son apparition. Je ne sais pas comment il a réussi à m'entendre, je n'avais pas fait le moindre bruit. Je suis immédiatement tétanisé, mes membres refusent catégoriquement de remuer. Sous l'effet de la panique, je suis pris d'une affreuse et incontrôlable sensation de nausée. J'ai tout à coup mal partout, je ne comprends pas pourquoi. Je suis au bord de l'évanouissement, c'est horrible. Je pose une main tremblante sur le mur. Je vais tomber, je vais m'écraser au sol...

J'ai en face de moi, à quelques mètres, cet homme ensanglanté, un couteau à la main, et je ne peux rien faire, je suis paralysé par la peur. Il me fixe et reste stoïque, les pieds écartés fermement posés au sol. Il est terriblement imposant. On dirait un géant, un monstre.

Il a facilement deux têtes de plus que moi et le double de mon âge, j'en suis certain. Je peux voir sa musculature se dessiner sous son pull, on dirait que ses manches le compriment tant ses biceps sont gonflés. Je me surprends à imaginer un simple coup de poing venant de lui. Je pense que je ne serais pas capable de m'en sortir vivant, s'il en venait à un tel acte.

Et à ses pieds, du sang, qui coule depuis la salle de laquelle il vient de sortir. Je n'arrive pas à en détacher mon regard. D'où vient-il?

-Y a un prob... un problème, M'sssieur?

Sa question semble fendre l'air et laisser derrière elle un vide, un blanc, un silence étrange. Sa voix est grave et semble fatiguée, comme lassée. On dirait que sa langue est pâteuse et qu'il n'a pas la force de prononcer correctement ses syllabes. Je ne sais pas si je dois lui répondre.

Je me contente de relever vers lui des yeux que je veux pleins d'assurance. Mais au moment où je croise les siens, je suis incapable de soutenir son regard. Ses traits, qui semblent pourtant témoigner d'une fatigue extrême, sont tirés et arrogants, et il semble sortir tout droit de l'armée, avec ses cheveux noirs rasés de très près. Non, impossible de le regarder dans les yeux, j'ai tellement peur.

C'est alors que mon attention se rive sur son cou. Une énorme cicatrice violette et blanchâtre le parcourt obliquement. Je ne peux m'empêcher de la fixer, à la fois fasciné et répugné. Je me rends compte que mon affreuse manie d'examiner les gens en détails refait surface, de la même manière qu'elle l'a fait avec la serveuse, il y a quelques heures.

Mais qu'est-ce qui a bien pu lui faire une balafre pareille?

-Arr'tez ça! Arrêtez de m'regarder! Faut pas qu'vous m'regardiez, Monsssieur!

Je sursaute, frôlant l'arrêt cardiaque. Je ne m'attendais pas à une telle violence dans ses mots. Il me fixe de ses yeux lessivés en serrant les dents, et respire bruyamment, comme si l'air lui manquait. Mais pourquoi s'exprime-t-il ainsi? Il paraît à bout de force mais arrive quand même à hurler. Et pourquoi n'arrive-t-il pas à articuler ces phrases simples?

On dirait un fou.

-Arrêtez quoi? je demande naïvement.

À l'entente de ma question, il pousse un grognement bestial. Puis, il s'élance dans ma direction. Moi aussi je pousse un cri, en m'apprêtant à piquer le plus grand sprint de toute ma courte vie. Pourtant, au moment où je le vois se mouvoir, je comprends enfin le problème de cet homme: il est complètement ivre. Il fait quelques pas, qui deviennent de plus en plus rapides, et soudain, il se jette littéralement sur moi et m'attrape le bras avec force. Affolé, je me secoue dans tous les sens, afin de le faire lâcher prise. Il n'arrête pas de grogner et il pue l'alcool à plein nez, c'est affreux. Je suis terrifié, je sens mon sang tambouriner dans tout mon corps, la chaleur me monte aux joues. J'ai toujours eu peur des gens soûls, c'en est presque une phobie. D'autant plus que sur son tablier, il y a du sang, plein de sang. Je suis dans un état second, comme si la panique me faisait perdre le contrôle.

Cauchemar en cuisineWhere stories live. Discover now