VIII. Damoiselle Rose, plusieurs fois abusée

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Estomaquée, Chardon ne protesta pas sur le champ. Ses lèvres s'arrondirent en un oh choqué par la vile trahison de sa meilleure amie, et elle comprit très vite qu'elle perdrait la partie si l'envie lui venait de faire valoir son antipathie pour le jeune homme. Il suffisait pour cela de poser le regard sur l'expression plus qu'enthousiasme d'Edelweiss, qui a priori considérait déjà l'idée adoptée.

– Vous vous montrez d'une cruauté sans bornes à mon égard, soupira Chardon, à qui sa déconvenue donnait des airs de tragédienne antique.

Convaincre Valerian de jouer les espions pour le compte de la Mission Licorne s'avéra autrement plus difficile que de persuader Rose ou Chardon, et Edelweiss déploya des trésors d'éloquence pour tenter de le rallier à sa cause. Malheureusement pour elle, Val ne s'attendrissait guère de ses élans lyriques, trop terre-à-terre pour être manipulé par les mots.

– Les filles, je vous apprécie énormément, tâcha-t-il d'expliquer à Rose et Edel – snobant royalement Chardon. Mais honnêtement, vous m'en demandez un peu trop là ; d'autant que ce plan est vraiment ridicule. Vous croyez réellement Rose capable de séduire un homme pour le pousser à la confidence ? Vu son manque assez évident de talent en la matière, il faudrait qu'elle ait des seins énormes pour compenser ! Or – sans rancune, Rose – mais ce n'est pas le cas. Ils sont charmants, mais ce n'est pas le cas.

À côté des deux sœurs, Chardon fulminait, et le fait que le regard de Valerian glisse vers son décolleté – plus généreusement fourni – ne l'aida guère à se calmer.

– Tous les hommes ne sont pas aussi pervers que toi, persifla-t-elle.

Val esquissa un semblant de grimace.

– Ça m'attriste énormément d'avoir une image si négative de ma propre engeance, répliqua-t-il, mais je crains d'avoir raison. Ceux qui n'ont pas l'air intéressés par la chose sont simplement meilleurs comédiens que les autres.

Rose ne releva pas, ne souhaitant pas laisser la conversation partir sur cette pente glissante. Le manque d'enthousiasme de Valerian pour leur projet – aussi idiot puisse-t-il paraître – la décevait un peu. N'était-il pas de tous les coups fourrés, lorsqu'ils étaient plus jeunes ? Pourquoi se montrait-il soudain si réservé ? Edel ne lui demandait pourtant pas la lune. Elle soupira, se rappelant combien le jeune homme avait changé de comportement durant l'année écoulée. Il passait des heures et des heures en compagnie de Gaïa et semblait bien plus renfermé que de coutume – sauf lorsqu'il s'agissait de taquiner Chardon.

– Allez Val, tenta d'elle de le convaincre. Ce sera drôle ; comme au bon vieux temps !

Un regard hautain de la part d'Edelweiss lui fit comprendre que ses techniques de manipulation n'étaient pas du tout au point. Rose se mordilla les lèvres, maussade. Sa plus évidente qualité était en train de se transformer en sacré handicap. Peut-être qu'Edel accepterait de lui donner des cours, si elle demandait gentiment – elle le faisait bien pour Aubépine et Capucine, après tout. Mais à bien y penser, la simple idée de demander un service à sa cadette rebutait un peu trop Rose pour qu'elle ose se lancer.

– Regarde procéder le Maître et prends-en de la graine, jeune péronnelle, lui souffla alors Edelweiss. Je m'apprête à lancer la technique de manipulation la moins subtile de toute l'histoire de la manipulation pas subtile, et pourtant elle va fonctionner à merveille.

Elle afficha brièvement un monstrueux sourire, qui disparut vite derrière une expression déçue – composée expressément pour l'occasion, devina Rose. Puis, incarnation de l'innocence, Edelweiss éleva à nouveau la voix.

– Laissons tomber, les filles, soupira-t-elle. Chardon avait raison : notre pauvre Val n'a pas assez de sang-froid pour prendre part à quelque chose d'aussi absurde et génial que la Mission Licorne. Bien vu, Cha. Je m'incline devant ta clairvoyance.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant