VI. Damoiselle Rose, dans les combles réfugiée

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En revanche, lorsqu'un esprit des plantes vivait dans un environnement qui lui convenait, auquel il pouvait s'adapter parfaitement, les limites posées à sa longévité semblaient disparaître soudainement. De tels cas étaient extrêmement rares, et ces êtres vigoureux, presque surnaturels, faisaient l'objet d'un respect immense au sein de la petite communauté. Ainsi était Gaïa, ancêtre de tous et révérée par tous. Elle ne quittait que rarement ses combles, ne dormait presque plus, et Rose, comme tous ses semblables, la tenait pour bonne conseillère, guide de l'âme comme du cœur.

– Grand-mère ? souffla-t-elle lorsqu'elle eut entrouvert la porte. Gaïa ?

– Entre, Rose. Je me doutais que tu finirais par passer me voir ; tu portes le prénom d'une fleur trop tourmentée pour parvenir à trouver un sommeil sans rêves après ce que tu as vécu ce soir.

L'ancêtre se tenait assise dans un large fauteuil à bascule, tout sculpté dans du bois et posé au centre de la pièce. Elle gardait un œil attentif sur sa bouilloire, tout en malaxant quelques feuilles de menthe entre ses doigts, qui embaumaient la pièce d'une délicieuse fraîcheur.

Rose s'avança de quelques pas timides, appréciant le côté chaleureux de la pièce, alors que tout le reste du manoir n'était décoré que dans un but de grandeur et de beauté. Ici, les meubles paraissaient aussi vieux que leur propriétaire, mais il dégageait une impression familière. Il en allait de même avec les vieux tapis effilés, et les mille menus objets s'entassant çà et là. Gaïa avait l'âme d'une collectionneuse.

– J'ai mis de l'eau à chauffer, va donc te préparer une tisane, lui ordonna la vieille. Fleur de coquelicot, camomille et mélisse. Et pas plus d'une cuillerée de miel – tu as toujours été trop gourmande pour ton propre bien...

La jeune fille obéit sans broncher, s'emparant successivement des vieux pots entassés sur l'étagère pour préparer la décoction. Elle ne lésina cependant pas sur le miel, estimant l'avoir amplement mérité. Lorsqu'elle versa l'eau bouillante sur le mélange, une délicieuse odeur un peu piquante lui envahit les narines, agissant presque aussitôt sur ses nerfs irrités.

– Comme de coutume, vous connaissez les plantes mieux que quiconque, soupira-t-elle en s'asseyant en tailleur aux pieds de la vieille femme, qui lui adressa un sourire bienveillant, avant de plisser le nez en grimaçant.

– Je t'avais dit une cuillerée de miel, pesta-t-elle. Incorrigible enfant, as-tu encore dévalisé mes réserves ?

Rose pinça les lèvres en regardant ailleurs, avant de décider de dissimuler son visage derrière la large tasse de porcelaine bleue, qu'elle porta à ses lèvres. La tisane lui brûla la langue, mais le goût était bien trop délicieux pour qu'elle s'en inquiète – quand bien même le feu demeurait l'élément le plus dangereux pour les esprits des plantes ; une simple petite brûlure pouvait tourner en terrible infection si on n'y prenait pas garde.

– Bien, grommela Gaïa au bout d'un moment. Et si tu m'expliquais ce qui t'empêche de dormir, maintenant que mes devoirs d'hôtesse sont remplis ? Tu as toujours souffert d'insomnie, mais jamais après avoir vécu une soirée si mouvementée – là, tu avais plutôt tendance à dormir comme une fleur en hiver.

Rose écarquilla les yeux, cherchant dans ses pensées par où elle devait commencer. Le meurtre du frêne lui revint immédiatement en mémoire, mais elle savait qu'il s'agissait d'un poids qu'elle devait porter seule. Partager sa culpabilité avec l'ancêtre aurait constitué une forme de lâcheté, une fuite en avant. Non, Rose s'efforçait de vivre en faisant face à ses actes, en les assumant pleinement. Elle commença à tourner lentement sa tasse de porcelaine entre ses mains, savourant la chaleur qui s'en dégageait. La rouquine appréciait de pouvoir occuper ses doigts lorsqu'elle réfléchissait ; il lui semblait que la concentration l'habitait plus pleinement ainsi, quand son corps et son esprit se dissociaient en deux tâches distinctes.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierWhere stories live. Discover now