III. Damoiselle Rose, en un saule incarnée

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– Elle se trouve dans l'arbre, droit devant, murmura-t-elle à l'intention de Chardon, sur un ton à faire tomber la neige et geler les plantes jusqu'à la racine.

À côté d'elle, Rose sentit sa cousine se tendre et triturer nerveusement les manches de sa robe de bal pour les remettre en place.

Terra mater, maugréa-t-elle. Comment va-t-on pouvoir la faire descendre de là sans se faire remarquer ?

– Aucune idée. Je t'avouerais que je m'inquiète plus de ce qu'elle s'apprête à faire, à vrai dire. Cet arbre, c'est un frêne, n'est-ce pas ?

Chardon sembla blêmir, si toutefois une telle chose était possible, ce que sa cousine prit pour une réponse positive. Pâles, les cousines portèrent une main à leur bouche dans un geste inutilement identique, comme pour dissimuler leur choc. Rose se sentait défaillir – encore, mais sans charmant jeune homme pour la maintenir sur pied cette fois. Elle ne pensait pas qu'Edelweiss oserait se risquer à dévoiler son secret, celui de leur famille, juste là, devant tous les dignitaires que comptait l'Île. Les enjeux venaient de monter dramatiquement plus haut qu'une visite au poste de police assortie de simples remontrances parentales. Un frêne. Pourquoi avait-il fallu qu'il s'agisse d'un frêne ?

– Reste ici et protège-les si elle tente quelque chose, souffla-t-elle à sa cousine, devant se faire violence pour qu'un filet de voix sorte de sa gorge. Je vais essayer de l'arrêter.

– Et comment ? paniqua Chardon. Elle va forcément passer à l'acte si elle te voit approcher – elle te connaît trop bien. Sans compter que je ne vois de roses nulle part !

Rose fronça les sourcils, plus sérieuse que jamais. Elle plongea son regard vert droit dans celui de sa cousine et hocha brièvement la tête.

– Je sais où trouver un saule pleureur.

Chardon ne chercha pas obtenir plus d'informations, pas plus qu'elle ne protesta ; elle savait ce qu'une telle décision coûtait à la rouquine.

Rose contourna en courant la scène où Monsieur de Tantale recevait toujours les acclamations de ses concitoyens, maudissant Edelweiss de tout son être. Elle priait également pour qu'Olivier ne se trouve plus au lieu de leur danse improvisée ; si elle pouvait supporter que le jeune homme la sauve des griffes d'un odieux prétendant, hors de question de le laisser assister à ce qu'elle s'apprêtait à commettre – contrairement à Edelweiss, elle ne dévoilait pas les secrets de sa famille à la légère, elle !

Fort heureusement, le sanctuaire ménagé par les longues tiges du saule s'avéra désert. Où qu'il se soit rendu, Olivier avait disparu – sans doute écoutait-il, comme tous les autres, les grandes promesses de Donatien de Tantale. Rose sentit son cœur se serrer à l'idée qu'il puisse acclamer le projet de mine, lui aussi ; elle aurait tant voulu qu'il s'avère différent. Mais au fond d'elle-même, la jeune fille se savait dénuée d'illusions. Trop de choses se bousculaient dans sa vie pour qu'elle se risque à entretenir des rêves de princesse, d'amour éternel et de fidélité absolue.

Une fois absolument certaine que personne n'assisterait à la scène, Rose ôta l'un de ses longs gants satinés, pour dévoiler un poignet fin et de longs doigts agiles. Une bizarrerie sautait toutefois aux yeux : le pouce était constellé de fines cicatrices plus pâles que le reste de la peau, comme les déchirures cruelles d'une aiguille. Cette vue ne suffit cependant pas à émouvoir la jeune fille : elle décacheta le rubis qui ornait l'une de ses bagues, pour dévoiler un objet minuscule, noirâtre. Une épine de rose. D'un geste précis, elle s'en saisit et la planta dans son pouce gauche, ne s'embarrassant ni d'hésitation ni de sentiment. Elle patienta un instant, jusqu'à ce que de la blessure perle une goutte d'un liquide translucide. Voilà qui expliquait la pâleur que partageaient les membres de la famille. Il ne s'agissait pas de sang, mais de sève.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierWhere stories live. Discover now