Opération

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« L'écriture, par le rythme d'une voix, le mouvement d'une phrase, calme la conscience ordinaire et réveille une conscience du dessous, plus fine, à vif : l'écrivain est à la fois anesthésiste et chirurgien. Il endort l'âme avant de l'ouvrir » Christian Bobin

Encore cette salle blanche sans fenêtre, juste ce mur derrière lequel je sais qu'on nous observe. Au milieu de la pièce trône un lit tout aussi blanc, il n'a même pas l'air confortable. Il règne une odeur de propre, de trop propre. Je peux distinguer l'odeur de plusieurs médicaments dont je ne saurais vous affirmer les noms. Je sens aussi la mort, la maladie.
Il fait sombre malgré la lumière des lampes blanches accrues qui tente d'éclairer cet endroit misérable.
Je suis tout seul quand ces gens arrivent dans leurs tenues vertes qui tranchent avec la pâleur de la salle d'opération. Ils amènent le patient qui est dans un état grave. D'après les mots que je comprends, je vais devoir l'opérer sans anesthésie, même pas locale, nous n'avons pas le temps.
Il respire fort et de manière saccadée, il suffoque. J'ai presque envie de le laisser mourir là sans rien faire.
Mais je dois le sauver, du moins essayer, c'est mon métier après tout.
Alors je laisse les infirmières l'installer pendant que j'enfile mes gants en latex et prépare mes instruments.
Je suis à présent devant le corps, c'est l'instant que je redoute le plus, l'ouverture.
Je prends tout de même mon courage à deux mains et commence à lui ciseler la peau. Du sang coule sur mes doigts mais j'en fais abstraction du mieux que je peux.
Je m'applique pour que ce soit fait proprement.
Les organes sont maintenant à découvert. C'est amusant et angoissant à la fois de se dire que cet homme est obligé de me faire confiance, qu'il expose son être à mes désirs. Si je voulais je pourrais arracher son cœur, son foie, ses intestins, ses poumons.
Mais aujourd'hui c'est son rein qui nous intéresse, nous devons lui greffer celui d'un donneur, sinon je ne lui donne pas une heure avant de s'éteindre.
Ils sont courageux tout de même, tous ces gens qui acceptent de faire don de leurs organes. Moi je ne le ferais pas, c'est peut-être égoïste mais c'est comme ça.
J'ai maintenant ce rein d'un inconnu entre les mains, il ne me reste plus qu'à faire un échange.
Il faut tout faire délicatement, pour ne rien abîmer.
J'ai du liquide rouge plein les mains, cela me répugne.
L'opération terminée, j'attrape du fil tout aussi vert que ma tenue et une fine aiguille.
Je recouds soigneusement la peau pâle de l'homme et enlève mes gants.
Je suis fier de moi, il me semble avoir travaillé proprement. Puis je me rends compte du silence pesant qui s'est installé dans la salle. J'entends aussi un bip strident continu qui me perce les tympans.
Je me retourne machinalement et jette un coup d'œil au rythme cardiaque du patient.
Plus rien.

Recueil De TextesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant