2 La réanimation

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2 La réanimation

L'ascenseur. Le niveau 0. La Réanimation.

Ambre tape le code pour passer les portes. Des blouses à usage unique. Une charlotte, en papier, sur la tête. Des protège-chaussures.

Ils vont vers la chambre 18, en saluant des collègues au passage. Couloir un peu sinistre. Négatoscopes avec des radiographies : des fractures, des tumeurs, des épanchements. Ce n'est plus du tout le domaine des vivants ni encore celui des morts. Un brancardier passe discrètement avec un corps dans une housse fermée en plastique vert foncé.

Certaines chambres ont un avertissement : Attention : port du masque respiratoire obligatoire.

Devant la porte du 18, un des anesthésistes, comme un garde. L'air mal commode.

— Que voulez-vous ?

— Le voir simplement, je pense qu'il doit être réveillé, je lui ai promis de lui apporter des gâteaux de son pays...

— Pas sans une autorisation.

— Vous ne voulez pas qu'on s'en occupe ? Je serais obligé de faire un rapport, vous savez, genre événement indésirable, en vous citant vous — il examine le badge — Monsieur Wodjio. Dois-je appeler le chef du service, pour voir un de mes patients ?

— Pas sans autorisation.

Ludwig de mémoire compose le numéro de téléphone de Catherine Lafont (Kate, pour les amis), une sous-directrice de Montjoie, et lui fait part de son mécontentement. Ils se connaissent depuis plus de dix ans, pourtant sans être de vrais amis, ils ont une bonne relation professionnelle.

Elle lui demande de lui donner l'anesthésiste, pour lui passer un savon...

De mauvais gré, ce gardien s'écarte.

Ludwig note en tout cas que son badge n'est pas exactement comme ceux des permanents de l'hôpital. Il mémorise soigneusement son nom.

                                                                                                   *

Ils entrent dans la chambre aux stores baissés.

Un gosse d'origine indienne. Il a été opéré pour un problème de thyroïde, au passage un chirurgien débutant a lésé en partie un des nerfs récurrents, ceux qui gèrent les cordes vocales.

Le patient est devenu presque aphone. De plus, le débutant a retiré les parathyroïdes en les confondant sans doute avec des ganglions lymphatiques, ce qui en cascade a entraîné des problèmes de calcémie. Non détectés au début.

Les réanimateurs avaient tout tenté pour corriger cette modification du calcium. La réalité est là : Coagulation Intra Vasculaire Disséminée. CIVD. Irrigation sanguine très perturbée. Gangrène. Amputation de plusieurs doigts d'une main, puis aussi d'une jambe. Nécrose débutante au niveau hépatique en même temps que digestif. Les chirurgiens ont repris le travail sur son ventre pour refaire des anastomoses de vaisseaux sanguins encore fonctionnels.

Un type de vingt ans. Étudiant le piano, dans un Conservatoire d'un bon niveau, brisé mentalement.

On surmonte des amputations, là il lui faudra beaucoup de chance pour s'adapter.

La psychologue de la Réa avait demandé à Ludwig deux semaines auparavant de passer faire de la « liaison », afin de comprendre pourquoi un gosse à qui on va couper des doigts, surtout pour un pianiste, est déprimé !

En Réa, on doit trouver qu'être triste dans ce contexte est anormal, que l'avis de l'équipe de psy est indispensable.

Pourquoi ne pas lui prescrire des antidépresseurs pendant qu'on y est ?, avait demandé Ludwig !

Ludwig et Ambre avaient longuement écouté ce jeune patient.

Décodé son discours parfois à peine l'audible. Il avait beaucoup parlé.

Ludwig avait regardé son dossier, les listings avec l'historique des ionogrammes. Il y avait aussi un typage HLA (Signature immunitaire.). Il avait été volontaire pour des séances de TMS. Plus d'autres examens, endocriniens, qui justement avaient mis en évidence un problème thyroïdien.


Ludwig lui a même proposé de lui apporter des pâtisseries de son pays. Avec Ambre, ils en ont trouvé. À quelques pas de Montjoie.

Maintenant, ils arrivent dans la pièce plongée dans une semi-obscurité.

Ils sont passés devant la salle d'attente où ses parents attendent en silence, les yeux aux aguets.

Il montre à son patient qu'il ne l'a pas oublié. Les yeux du jeune homme s'illuminent. Le carton de gâteaux est ouvert sur sa chemise hospitalière.

Ses tuyaux courent partout.

Le jeune homme de sa main valide se sert un gâteau au miel avec du pavot en grains.

La porte à sa bouche commence à mastiquer. Avale difficilement une bouchée. Les chiffres des moniteurs changent. Les constantes s'améliorent, remontent un peu. Le mental reprend le dessus.

C'est fragile.

Une infirmière alertée passe sa tête par la porte, voit que c'est l'équipe de Psy.

— Oh ! excusez-moi, je ne savais pas qui c'était !

Elle rebrousse chemin.

Une jeune interne à son tour passe le bout du nez et désireuse de s'épargner un stress supplémentaire, s'éclipse en silence.

Anna une des infirmières de l'UPLU les a rejoints discrètement. Se tient en retrait. Elle s'occupait d'une hospitalisation, cette tâche finie, elle veut voir comment les autres s'y prennent.

Le jeune homme a un grand sourire de plaisir. Demande d'un murmure un peu d'eau. Ambre se précipite, Ludwig lui prend le gobelet des mains et donne à boire au malade. Il se recouche. Se détend. Somnole. Ambre et Ludwig attendent patiemment. Ludwig tient la main intacte du jeune homme.

Hôpital de Montjoie, Tome 1Where stories live. Discover now