2 - Bruxellae

Depuis le début
                                    

- Quand tu étais petite, se souvint Nanny Mi, tu pleurais des journées entières quand il partait. Pour te consoler, on cuisinait ensemble tes plats préférés, je t'inventais des histoires, on allait se baigner dans le lac, tu restais debout plus tard... Tu te rappelles de tout ça ?
- Oui, sourit Ellynn en se remémorant ces vieux souvenirs. J'adorais particulièrement faire des gâteaux aux framboises et les donner à papa quand il rentrait. J'étais persuadée que c'était les meilleurs au monde et que papa les adorait.
- Mais c'était le cas !
- Je me rappelle surtout t'avoir vue aux fourneaux tard le soir pour rattraper mes gâteaux trop cuits, lança malicieusement Ellynn en lui jetant un regard en biais.
- C'est vrai ?! Tu ne m'as jamais dit que tu m'avais vu faire ça !
- Non, bien sûr. J'étais trop contente à l'idée de pouvoir lui donner un gâteau qui ressemble à quelque chose. Puis cela m'occupait de t'observer. La veille de son retour, je ne dormais presque jamais. Ou alors, je faisais semblant quand tu venais vérifier.
Nanny Mi sourit à cette confidence.
- Tu veux encore un bout de pain ? demanda Ellynn.
- Non merci ma chérie.
- Tu n'as presque rien avalé. Un tout petit morceau avec du saucisson?

Nanny Mi soupira et pris le morceau pour lui faire plaisir. Contrairement à elle, Ellynn avait un appétit d'ogre et mangea plusieurs bouts de pain d'une traite. Repue et le ventre gonflé, elle se dit que si elle continuait à manger de telles quantités, elle allait finir par rouler plutôt que de marcher. Rigolant d'elle-même, elle appela Gladius (il était parti chasser quelques lapins) et ils se remirent en marche dès son arrivée.
Le reste du trajet fut éprouvant pour Nanny Mi. Son âge avancé et ses muscles raidis ne l'aidaient pas à avancer à un bon rythme. Ellynn tenta de l'aider du mieux qu'elle put et insista pour qu'elle monte Gladius. Malheureusement, rien y fit. Nanny Mi refusa à chaque fois ses propositions et elles n'atteignirent la ville que dans le milieu de l'après-midi.



Cela faisait un peu plus d'un an qu'Ellynn n'était pas retournée en ville. Les occasions d'y aller étaient rares et son père n'était jamais ravi par cette idée. Elle avait toujours eu du mal à comprendre son entêtement à ce sujet. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était se balader dans les rues, regarder les vitrines des boutiques, acheter des friandises et se rendre à la bibliothèque. Bien entendu, si elle avait pu, elle aurait été jusqu'à l'école pour rencontrer des jeunes de son âge mais le regard noir que lui jetait son père à chaque fois qu'elle le demandait lui coupait toute envie d'y aller.
Bruxellae avait la particularité d'être bâtie sur un marécage. À l'époque, seuls quelques bâtiments avaient été construits grâce à un apport important de terre pour rendre les terrains bâtissables. Le fleuve qui passait au nord du village avait permis aux villageois de rendre leur commerce accessible aux autres villes du pays. Puis, petit à petit, une personne en amenant une autre, le village s'était transformé en une ville florissante, devenant ainsi la deuxième ville la plus importante du pays.
Une fois au pied des remparts (Gladius devait rester caché dans les bois), Ellynn et Nanny Mi eurent la mauvaise surprise de devoir faire la file pour passer le poste de contrôle. Des gardes surveillaient les allers et venues des passants et exigeaient que ceux-ci s'inscrivent dans un registre. Nanny Mi les inscrivit sous de faux-noms (Arlette et Olive Berger) pour leur sécurité puis paya la somme requise pour avoir le permis de séjour dans Bruxellae.
La foule était impressionnante et oppressante. Il fallait jouer des coudes pour avancer et Ellynn fut tellement bousculée par un badaud que les affaires de sa sacoche tombèrent parterre.
Énervée, Ellynn ramassa en vitesse ses effets et maudit le passant. 

- Ne te fais pas remarquer, marmonna Nanny Mi entre ses dents alors qu'elle l'aidait à se relever.

Ellynn fit abstraction de sa remarque mais nota que c'était la première fois qu'une personne ne s'excusait pas quand on la bousculait. Cherchant l'homme malpoli des yeux, elle remarqua que personne ne traînait sur son chemin. Tout le monde avait le regard baissé et elle ne voyait aucun sourire sur les visages.
Déconcertée, Ellynn observa les alentours et fut frappée par le changement d'atmosphère qui s'était opéré dans Bruxellae. Les rues, d'ordinaire si joyeuses et illuminées, avaient l'air sombres et sales. De la boue ornait les pavés et les détritus étaient jetés dans les caniveaux. Une odeur pestilentielle régnait et elle dut faire un effort sur elle-même pour ne pas remettre à même la rue tout son repas de midi.
Nanny Mi attrapa la main de sa protégée et l'entraîna dans diverses petites ruelles pour se rendre à l'Auberge du Pré. Elles logeaient à chaque visite à cet endroit car les chambres y étaient impeccables, la nourriture délicieuse et les tenanciers bienveillants. La renommée de l'établissement était d'ailleurs telle que tous les villageois connaissaient monsieur Antonin et sa femme Gisèle.
Il leur fallut une trentaine de minutes pour arriver à l'auberge. D'ordinaire accueillante, la propriété était à présent tout le contraire. Le portail avait été remplacé par de hautes palissades, quelques barbelés et une lourde porte boisée. Un judas grillagé et de nombreux verrous composait l'entrée tandis qu'une cloche brinquebalait sur le côté pour que les visiteurs puissent s'annoncer.
Ellynn attrapa la clochette et la fit retentir plusieurs fois. 

Ellynn Morgan et les Chasseurs Noirs (tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant