Hôpital de Montjoie, Tome 1

Partie 1

L'Indien

1 Observation

Ambre observe Ludwig à la dérobée.

Leur unité, au sous-sol de l'Hôpital de Montjoie, commence à se rafraîchir un peu. C'est le milieu de l'après-midi. Dehors, dans le patio, l'herbe rare se dessèche. Les arbres se sont chargés de feuilles qui tamisent la lumière. Les émonder n'est sans doute pas une priorité pour les jardiniers. Les autres fenêtres en face sont fermées.

Tous les employés sont déjà partis juste un peu avant l'heure. Les gens de la reprographie en premier. Ces derniers temps, des vagues de chaleur ont frappé, chacune suivie de froid, puis de nouveau de chaud. Un certain nombre des collègues est porté malade, présentant des syndromes grippaux.

Ambre savoure, discrètement, le respect acquis auprès de certains soignants de l'hôpital, du fait qu'elle travaille avec Ludwig et comme cadre en plus. Elle a remarqué que par mimétisme, les autres la traitent avec la même courtoisie qu'ils témoignent au docteur Ludwig Jellicoe, le responsable de l'UPLU (l'Unité de Psychiatrie de Liaison et d'Urgences).

Ludwig l'intimide toujours et l'intrigue. Il la tutoie depuis quelques jours et semble en attendre autant de sa part. Elle hésite à franchir le pas. Bien des médecins ne se le permettent pas, alors pourquoi le ferait-elle ?

Ludwig est vêtu d'un pantalon noir avec plusieurs poches comme un treillis militaire. Habituellement, il porte des chemises blanches de pilote d'avion. Manches longues ou courtes selon la saison ! Mais aujourd'hui, il a mis une chemise de soie noire aux manches courtes avec une seule poche de poitrine d'où dépassent un stylo à plume et son téléphone.

Accroché au bord de sa ceinture, un badge avec son nom, son titre et sa fonction.

Il traîne aussi dans ses poches un tampon auto-encreur à encre violette non photocopiable, une douzaine de clés liées par un anneau, une flamme rouge en nylon avec la mention Remove before flight brodée dessus. Retirer avant le décollage. Des cigarettes, un briquet ou parfois deux.

La relève approche. Les équipes se croisent, se passent les consignes avec des plaisanteries lasses, mille fois répétées.

Le parking de surface se vide lentement. Du souterrain, une colonne de voitures émerge. Ludwig et Ambre contemplent souvent ce spectacle quand ils sont dans les étages.

En bas, au nord, le périphérique doit être bloqué. Un halo de brume grise le recouvre. Le ciel est bleu foncé ozone. La chaleur estivale est retombée sur la ville sans prévenir.

                                                                              *

Les bureaux d'Ambre et Ludwig sont situés en sous-sol. Le silence y règne. C'est à peine s'il est troublé par le léger ronronnement des ordinateurs.

À l'extérieur, tout est calme. Les oiseaux cessent progressivement de piailler. Au loin, quelques portes claquent irrégulièrement. L'éclairage des écrans se dilue dans un violet sombre. Unique touche de mouvement, la fumée de la pipe de Ludwig qui monte en volutes lentes vers le plafond.

Côte à côte, Ludwig et Ambre sont penchés sur un écran.

À droite en vert, rouge et jaune des chiffres en gros caractères reflètent les fonctions vitales d'un patient en réanimation. À gauche des lignes ondulées : électrocardiogramme, pression artérielle, rythme de la respiration. Un nom et un numéro de moniteur.

Ludwig avec l'aide d'un technicien complaisant du service informatique — et un peu de monnaie ! — a fait dériver vers un écran de son bureau la connexion des appareils de monitoring de la Réanimation.