Prologue

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Un seul arbre était encore debout. L'Arbre-Père, le coeur de la Forêt, prénommé le Vwanba par les Créatures, se tenait droit. A ses pieds se trouvait un garçon, assis sur ses immenses racines. C'était Pòl, tout juste Élu par l'Arbre roi, et sa jeunesse apparente tranchait avec son air résigné. Fier, le Vwanba se refusait à courber l'échine face au cauchemar qui le fixait. Le silence s'intensifia, créant un bourdonnement nerveux au-dessus d'eux. L'atmosphère était tendu, l'air lui-même était comme suspendu, les opposants attendant chacun un signal pour débuter le duel.

Si l'on se plaçait au milieu, on remarquerait le contraste entre les deux opposants: d'une part, L'arbre-Père, majestueux, encerclé de verdure, ses branches légèrement agitées par une brise furtive et sous un ciel bleu roi; d'autre part le Dévoreur de Royaumes, terrifiant, les mains posées sur les sommets, son souffle faisant grincer les roches coupantes et sous un ciel d'un noir d'encre. Cette scène avait l'air tout droit sortie du tableau d'un peintre fou.

Puis, Pòl se leva et posa une main sur l'écorce rugueuse du vieil arbre. Comme s'il n'attendait que ce geste pour partir, le Mangeur ouvrit sa bouche et inspira la magie qui imprégnait l'air, arrachant les plus faibles arbustes à leur terre. Le jeune Prince tendit son bras libre vers la source de leur tourment, doigts écartés. Et au moment où le Dévoreur hurla, crachant sur la Forêt sa haine incommensurable, Pòl cria à son tour sa rage, combinant sa magie d'Élu à celle du Vwanba pour créer un bouclier entre sa patrie et son ennemi. Les ténébreux geysers de magie noire déferlèrent sur la Forêt, grillant herbes, fleurs et feuilles puis alla se heurter contre le mur invisible. Il grogna à en faire trembler les montagnes et s'éloigna, le regard furibond. Pòl eut à peine le temps d'être soulagé qu'un autre Mangeur apparu derrière le premier, succédé d'un troisième. Tous avaient l'air prêt à en découdre. Les trois Dévoreurs de Royaumes combinèrent leur magie comme l'avait fait le garçon et l'arbre, et leur hurlement fut tel que le Monde d'Éol'dias tout entier fût secoué. Le sol de la Forêt se craquela tant il vibrait, des centaines d'arbres tous plus vieux les uns que les autres tombèrent, déracinés. Pòl et le Vwanba tinrent bon malgré tout, et l'Arbre roi, avant de succomber, transféra tout son pouvoir dans le corps du garçon qu'il avait reconnu comme son Élu il y a si peu de temps seulement. 

Ce dernier, seul, tomba à genoux. Son visage était couvert de poussière, strié de fines lignes humides tracées par ses larmes de douleur. Son sanglot s'éleva dans le silence comme une plainte déchirante, ses épaules secouées à un rythme saccadé. Il finit tant bien que mal à se relever et étendit ses bras ensanglantés, écorchés. Il bascula sa tête en arrière, lâchant un dernier hurlement où se mêlait rage, douleur et désespoir, avant de donner son âme pour rendre indestructible le bouclier invisible, protégeant ainsi la Terre des Hommes où il espérait qu'un bon nombre de Créatures trouveraient asile. Il baissa enfin sa tête pour regarder les Mangeurs s'en aller, dépités, et tomba à plat ventre au sol. Il toussa un court instant, crachant son propre sang sur ce qu'il restait de l'herbe anciennement verte, et ferma les yeux pour l'éternité.

Les larmes Monstrueuses [EN PAUSE]Where stories live. Discover now