II. Damoiselle Rose, au bal égarée

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Lorsqu'elle se tenait au milieu des arbres et des fleurs, elle se prenait à ressentir bien mieux la rage froide qui animait sa cadette. Aurait-elle hérité du même caractère volontaire – et légèrement suicidaire – qu'Edelweiss, ce serait elle qui se serait trouvée ici, à tenter d'empêcher par tous les maigres moyens à sa disposition l'odieux, le vil, l'infâme Monsieur de Tantale de raser collines et forêts.

– Pourvu qu'Edel ne fasse pas trop de bêtises quand même... soupira-t-elle.

Elle erra un moment encore au sein du jardin, avant de se décider à reprendre sa mission. Pour ce faire, il lui fallut quitter les ombres bienveillantes pour s'offrir à nouveau à la lumière des flambeaux, et ce malgré les frissons qui la parcouraient encore lorsqu'elle songeait à ces lèvres sur sa main, à ce souffle chaud qui traversait le gant pour venir lui embraser la peau. Malgré l'étrange cicatrice sur son visage, le jeune homme qui l'avait arrêtée possédait une beauté froide et racée. Mais il se dégageait de lui une impression inquiétante, comme s'il s'était agi d'un prédateur à la fois civilisé et sauvage, au milieu de l'assemblée.

Rose prit une profonde inspiration, et espéra ne pas le recroiser. Elle songea également à Chardon, qu'elle n'avait pas revue depuis une bonne demi-heure maintenant. Vu son côté pragmatique et son sens des responsabilités, Rose ne s'inquiétait pas trop pour elle – à moins qu'elle ne se retrouve également la proie de l'homme à la cicatrice en croissant de lune. Non, songea-t-elle. Non, aucune raison d'avoir peur ne se profilait assez nettement pour qu'elle prenne ses pressentiments au sérieux. Les deux cousines allaient remettre la main sur Edelweiss, rentrer en catimini, et l'on ne reparlerait plus de cette étrange escapade.

Les évènements ne devaient toutefois pas se dérouler de la manière dont Rose l'aurait souhaité. À peine eut-elle remis le pied dans le cercle orangé que dispensaient les flambeaux qu'elle vit arriver vers elle deux hommes à l'air assez moyennement heureux de la voir, et encore plus moyennement disposé à discuter. Ils se placèrent à sa gauche et à sa droite, pour lui bloquer toute retraite. Cette fois-ci, la jeune fille sentit la panique, jusqu'à présent si efficacement refoulée, prendre possession non seulement de son esprit, mais également de son corps. Elle porta une main tremblante à sa bouche tandis que ses jambes frêles peinaient à la porter. Et les symptômes empirèrent lorsque son prétendant repoussé, le séduisant jeune homme à la cicatrice, fit son apparition, se tirant des ombres comme un diable de sa boîte.

– Je vous l'avais dit, soupira-t-il à l'intention des deux gorilles qui coupaient toute retraite à sa proie. Elle ne pouvait avoir disparu bien loin. Rebonsoir, Rose. Ne vous ayant point trouvé d'homonyme sur la liste des invités, je me suis permis d'aller chercher ces messieurs. Il va falloir que vous nous fassiez grâce de quelques explications. Que faites-vous ici ? Comment êtes-vous entrée ?

– Par la porte, et à mon bras, fit une voix monocorde dans le dos de Rose, qui laissait deviner un indéniable ennui. Cessez donc d'ennuyer cette jeune femme, Janvier. Elle est avec moi.

Le dénommé Janvier caressa la cicatrice sur son œil d'un geste pensif, sans daigner pour autant lever le regard vers l'importun lancé au secours de Rose. Non, ses yeux ne lâchaient pas la jeune fille, appréciant l'affolement qu'il lisait sans doute en elle, la sourde terreur qu'il lui inspirait. Le silence de l'autre dut cependant lui laisser comprendre qu'il s'apprêtait à perdre sa proie, car il suffit d'un mot pour qu'il s'en retourne vaquer à des occupations n'incluant aucune damoiselle à la longue chevelure enflammée.

– Janvier, répéta le sauveteur de Rose dans son dos, sa voix grondant comme un avertissement.

– Elle est tout à vous, murmura l'interpellé en esquissant un sourire étrange, dérangeant.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant