L'homme et le dragon

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D'aussi loin qu'il s'en souvenait, l'homme avait toujours vécu dans une clairière. Encadrée par une forêt dense dont les branchages paraissaient non pas l'enfermer mais l'entourer chaleureusement comme des bras aimants le feraient. L'herbe y était d'une douceur sans nom et il avait un petit potager et quelques animaux pour se nourrir. A cela, s'ajoutait un petit ruisseau qui coulait doucement, lui apportant une eau pure nécessaire à toute vie. Au centre se dressait sa maison. Elle était de taille moyenne, construite dans la plus grande simplicité et destinée uniquement à remplir ses besoins. Chaleur et sécurité se dégageait de cet environnement. Rien ne pouvait lui arriver tant qu'il restait dedans. Cette information était profondément ancrée en lui. Il ne savait pas qui lui avait enseigné cela. C'était ainsi d'aussi loin qu'il se souvenait : la clairière représentait la sécurité et la vie, il ne fallait surtout pas la quitter. Et il n'avait jamais remis en cause ce fait.

C'était un absolu dans sa vie.


Et sa vie était parfaite ainsi. Chaque jour, il remplissait ses différentes tâches, nécessaires à l'entretien de la clairière et de ses habitants. Cela lui prenait une bonne partie de sa journée et il ne lui restait, au final, que peu de temps libre. Pourtant, ce temps libre ne lui manquait pas. Ce qu'on n'a jamais connu ne peut guère vous manquer, non ? Et l'homme n'avait jamais connu le plaisir de paresser pour pouvoir le regretter. Il ne connaissait pas non plus les beautés de la musique, les mystères des plaisirs sexuels ou les bienfaits de l'exercice physique. Ses activités lui convenaient.

Cependant, il existait une exception à sa vie si bien réglée. En fait, cela pouvait malgré tout entrer dans le cadre de cette vie mais cela n'avait d'autres buts que de le faire rêver. Il ne s'agissait pas d'un travail à effectuer. Chaque jour, il se levait peu avant le soleil, sortait, s'installait sur une bûche dans sa clairière et l'observait monter lentement dans le ciel. Ce dernier explosait en un dégradé de tons pastels, mélange de bleu pâle, bleu nuit, violet, mauve et rosé. Puis le soleil y ajoutait du orange et du jaune avec parfois une touche de rouge.

Ce mélange, cette explosion, de couleur avait quelque chose de magique pour l'homme. Il restait figé, les yeux écarquillés, le cœur palpitant. Ce moment de la journée, il l'aimait par-dessus tout. C'était sa seule action de la journée qui n'avait aucun but utile, sinon celui de le faire rêver. Et il rêvait. Tous les matins, il rêvait avant de se mettre au travail.


Pendant ce temps-là, le soleil continuait à monter dans le ciel, astre brillant et indifférent au labeur et à l'admiration de l'homme, et poursuivait sa course pour disparaître le soir à l'horizon, du côté opposé duquel il s'était levé.

Et l'homme lâchait un léger soupir, mélange de contentement devant sa vie si bien ordonnée et tranquille et de regret de voir l'objet de son admiration disparaitre. Il allait alors se coucher et sa nuit était hantée par l'astre solaire. Il passait chacune de ses heures de sommeil à lui courir après, dans l'espoir de l'attraper.

Mais, le matin venu, il ne faisait rien de tout ça. Il se levait, l'observait puis vaquait à ses occupations.

Et ainsi se déroulait sa vie.


Cela aurait pu continuer jusqu'à sa mort. Pour quelles raisons aurait-il changé son mode de vie ? Pourtant, une nuit, les choses changèrent. Il s'était couché, comme il en avait l'habitude, s'attendant à courir une fois de plus vers sa chimère.

Néanmoins, au lieu de son rêve habituel, il se trouvait au milieu de sa clairière. Celle-ci, malheureusement, n'était pas le lieu de paix qu'elle représentait en temps normal. Tout ce qui faisait sa vie en avait disparu ou s'était transformé.

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