Chapitre 5. Sur la route.

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J'avais dans l'idée de faire pas mal de miles, en m'arrêtant le midi pour qu'on mange, et en fin d'après-midi afin de trouver des fringues pour Jody et un hébergement. Mon compagnon de route observait le paysage et moi, je pensais tout en conduisant. J'étais en colère. La souffrance de Jody éclatait partout en moi. Je voyais, j'avais vu à quel point les mauvais traitements avaient laissé des traces sur lui. Je savais que l'homme pouvait s'avérer la pire des pourritures envers son prochain. Mais ça n'empêchait pas que je ne comprenais toujours pas l'humain. Alors je me révoltais intérieurement. Extérieurement, c'était plus compliqué. Le système m'avait rattrapé et bouffé. Au lieu de m'en débarrasser, je souhaitais encore plus aider Jody, l'emmener loin de ces salopards, dont il avait si peur qu'il en pissait au lit.

J'entrai en Ohio au bout de trois heures de route, et je pris la direction de Cleveland. Nous nous arrêtâmes dans un fast-food à la sortie de la ville. Jody observait les gens avec un mélange de crainte et de défiance, ne s'adressait jamais à ceux qui servaient. Quand il avait besoin de quelque chose, une carafe d'eau, de la mayonnaise, il passait par moi et je transmettais.

Nous repartîmes. Après deux autres heures de trajet, je sortis à Toledo et je me mis en quête de magasins. Je trouvai un Wallmart et Jody acquiesça. Ça lui convenait. Nous nous dirigeâmes vers le rayon des vêtements masculins et je le laissai choisir.

— À Clearfield, je ne sortais pas, et surtout pas pour acheter des habits, fit-il remarquer. Je récupérais les fringues de Sean et de Davis, ou bien ils m'en ramenaient. Quelquefois, les clients me filaient des trucs qu'ils voulaient que je mette et que je reprenne la fois suivante.

— C'est fini, Clearfield, Jody, déclarai-je doucement.

— Mais je ne sais pas quoi prendre, argua-t-il.

— Ce qui sera utile et qui te plaît, mec, du point de vue de la coupe et des couleurs. Il te faut des t-shirts, des sous-vêtements, un ou deux jeans, une veste chaude, énumérai-je.

— Ok, fit-il, en s'approchant des tissus suspendus à des cintres ou rangés dans des bacs.

Il s'avança alors dans le rayon et opta pour des boxers noirs et des chaussettes de la même teinte. Sobres, et je savais pourquoi. C'était le contraire de ce qu'on avait dû lui faire porter. Par contre, il se décida pour des t-shirts plus clairs, pourvus de motifs, et deux jeans délavés. Je rajoutai un sweat bleu gris doublé de polaire et une paire de baskets. Jody considéra l'ensemble du caddie d'un air effaré.

— Ça va faire cher, constata-t-il.

— Pas tant que ça et c'est nécessaire, pour bien démarrer ta nouvelle vie.

— Je vais payer une partie avec mes cinquante dollars, objecta-t-il.

— Trente, le contrai-je.

Il hocha la tête, satisfait du deal. Nous prîmes le chemin des caisses et nous passâmes devant un grand panier sur roulettes, qui exhibait des licornes en peluche et en promotion. Il y en avait des blanches avec des crinières et des queues dorées, des bleues avec la queue arc-en-ciel, des roses et des vertes.

— Prends-en une, si ça te plaît, proposai-je.

— Je ne suis pas un gamin, résista Jody, sans pour autant cesser de fixer les petites bêtes mythologiques.

— Qu'on soit un gamin ou pas, on a besoin de tendresse, affirmai-je. Prends celle que tu préfères et n'aie pas de regrets. Tu en auras si tu ne te décides pas.

Je me demandai si Jody avait eu une enfance digne de ce nom en ce qui concernait les jouets, après la mort de ses parents. Au vu de ses prunelles bleues brillant d'envie, ça m'étonnait grandement. Il avança la main, saisit une licorne bleue.

J'ai  conduit jusqu'à toi, roman édité, 5 chapitres disponiblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant