0 - Le prix d'une découverte

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« Je vais crever, je vais crever, je vais crever ! J'ai trouvé l'Éléphant, et je vais en crever ! »

Boris resserre son cache-poussière et les sangles de ses grosses lunettes, puis jette un œil sur ses poursuivants. Les glisseurs chromés de l'Amirauté fondent sur lui en soulevant des nuages de particules : ils ont encore gagné du terrain. Il pose la main sur le sac qui contient tout ce qu'il a pu ramasser dans la panique : des cartes annotées, un géocapteur, son transmetteur et ses cubes mémoires. C'est tout ce qu'il reste de son atelier vitrifié en un clin d'œil par l'armée.

« Je vais crever à cause de l'Éléphant ! » Son bolide zigzague à vive allure dans la circulation, alors que trois nouveaux glisseurs de l'Amirauté lui collent au train.

Boris essuie du revers de la main les gouttes de sueur qui perlent à son front et se concentre sur les indicateurs au rouge du tableau de bord.

— Monsieur Parker-Agado ! hurlent les haut-parleurs de la police à ses trousses. Arrêtez votre véhicule ! Dernière sommation avant neutralisation ! Intégrité personnelle non garantie, je répète : intégrité personnelle non garantie !

Sans blague ? Boris repense à son atelier réduit en cendres... L'Amirauté a décidé de ne pas discuter et n'hésitera pas à le tuer. Boris enregistre un nouveau profil de navigation et son bolide vire sec dans une ruelle pour surgir sur l'artère principale de la ville. Les véhicules de police ne se laissent pas distancer pour autant. Boris passe alors en manuel et pousse à fond les turbines pour avoir une chance de semer ses poursuivants.

Tout ça pour quoi ? Pour avoir trouvé l'Éléphant ? Depuis quand de simples coordonnées seraient-elles illicites ? Ils n'ont pas le droit de faire ça à un Cornac, bon sang ! Au contraire, cette découverte aurait dû être son moment de gloire : une vie passée dans les crevasses dangereuses de Langkah, à relever des sondes, ajuster des algorithmes et affiner ses modèles mathématiques... Une longue existence solitaire consacrée à la recherche de l'Éléphant. Et il l'a trouvé, lui, Boris Parker-Agado, la grosse bête mythique. Pas un de ces petits réservoirs à cinq cents millions de barils de gula, non, là, c'est le pachyderme obèse des bassins miniers, la réserve de minerai que la colonie cherche en vain depuis deux siècles ! Bref, l'énergie suffisante pour faire redémarrer le Phœnix et enfin quitter cette foutue planète.

Tout à coup, le cockpit de son glisseur s'illumine violemment tandis qu'une alarme retentit : Boris désactive les dernières fonctions d'assistance ainsi que les radars de proximité. Il doit accélérer, quitte à risquer quelques accrocs. Il creuse un peu l'écart avec ses assaillants — merde, ils sont combien maintenant, dix glisseurs amiraux ? —, mais il doit se concentrer sur sa trajectoire, la moindre erreur serait terrible.

Boris jette un œil inquiet sur son transmetteur entre deux virages : le service de découverte a définitivement refusé sa demande. Rien d'étonnant, l'Amirauté le contrôle entièrement. Qu'importe, il doit trouver un moyen de rendre publiques ses recherches avant que la police ne lui mette la main dessus. Alain peut l'aider. Oui, son pote Alain comprendra vite l'importance de la situation. Il est Cornac lui aussi. Boris n'hésite pas longtemps, il connaît par cœur les coordonnées de l'Éléphant, cela fait des années qu'il navigue dans le secteur. Sans réfléchir, il pianote sur son terminal un bref message — « 1.15.25. S. 116.49.59.E. » — et sélectionne manuellement « A. DE GLAZ » dans sa liste de contacts. Ces quelques secondes d'inattention lui sont fatales : il percute violemment un véhicule qui s'insère dans la circulation. Boris tente une embardée sur la gauche, bascule de tout son poids sur le côté pour récupérer son assiette, mais les propulseurs du glisseur s'enfoncent vers le sol. Il ne maîtrise plus rien, le bolide décolle, vrille un instant, puis se fracasse sur le coin du carrefour en entraînant avec lui deux glisseurs stationnés là. Alors que l'épave de la machine ronfle encore, écrasée contre un pylône électrique, le cornac s'est retrouvé projeté de l'autre côté de la rue dans un mur de béton.

« Message bien envoyé », grésille le module réseau à ses pieds.

TURBAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant