Chapitre 1. Callan

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Au fond de la pièce, la chanteuse croisait et décroisait les jambes, adossée au piano droit en chêne. Ses lèvres bien trop rouges minaudaient une chanson suave que personne n'entendait, couverte par les éclats de voix et les entrechoquements des verres. Les hommes attablés, un épais cigare à la bouche, appréciaient néanmoins la vue de cette jolie créature qui donnait plus de saveur à leurs parties de cartes. Elle le savait et en jouait avec allégresse, faisant onduler sa chevelure de feu ornée de plumes rouges et noires, ajustant son corsage affriolant d'une main badine. Parfois, les bruits environnants se faisaient clameur, et quelques bouteilles de whisky se brisaient. Quand la bagarre éclatait, le barman empoignait de force les trouble-fêtes. Sous les encouragements des clients, il les poussait vers l'extérieur, leur faisant traverser les portes battantes en bois avec vigueur. La majorité s'écrasait au sol et il n'était pas rare de trouver quelques individus imbibés d'alcool sommeillant devant l'entrée, le nez sur l'abreuvoir des chevaux.

Callan quitta le saloon, oppressé par la foule et la fumée dense qui envahissait l'espace. L'air de la ville était sec et le vent soulevait des nuages de sable à chaque rafale, ébouriffant au passage un peu plus ses cheveux bruns déjà en bataille. De minuscules grains se nichèrent dans la barbe naissante que l'on devinait poindre sur sa mâchoire carrée. Il plissa ses yeux noisette pour distinguer quelque chose au milieu de ce brouillard ocre. Il admira une dernière fois les façades rustiques des commerces, surplombés d'une immense colline aride, et pressa le bouton sur sa tempe.

Déconnexion.

Callan aimait bien ce monde. Il appréciait l'atmosphère particulière qui s'en dégageait et les détails soignés. La semaine passée, lors d'un voyage dans un univers aux accents médiévaux, il était tombé sur une boîte de conserve rouillée sur l'étagère d'une auberge. Rien n'était pire à ses yeux que ce genre d'anachronisme, pourtant fréquemment rencontré. Il ôta la capsule de son connecteur et la replaça avec soin dans son étui. La fiche descriptive promettait :
« Bienvenue au Far West : immergez-vous dans une ville de l'Ouest américain et prenez-vous l'espace d'un instant pour un cow-boy. »

En son for intérieur, il approuva, satisfait. Il n'était jamais déçu des mondes créés par Silvio Clarke. Le développeur était très en vogue et ses capsules réalisaient les meilleures ventes du moment. Il imaginait des univers fouillés, peuplés de dragons ou de créatures de l'espace, et les jeunes se les arrachaient. Tout à fait ce qui plaisait à Callan, du haut de ses vingt ans.

— Cal ! Cal !

Jenna surgit dans sa chambre, survoltée.

— Regarde ce que papa et maman m'ont offert, s'enthousiasma-t-elle, en désignant ce qu'elle portait sur la tête.

Il leva les yeux et aperçut ce qui rendait sa jeune sœur si enjouée. Il ne put réprimer un sourire. Sur ses fins cheveux marron était posé un connecteur rose bonbon en forme de diadème, incrusté de faux joyaux grossièrement imités.

Les connecteurs servaient de réceptacles aux capsules. C'était à travers eux que les mondes prenaient vie pour l'utilisateur. Ils existaient sous différentes formes. Les premiers modèles consistaient en de simples casques avec une multitude de fils et d'électrodes, mais au fil des années la technologie s'était affinée et les connecteurs devenaient de véritables objets de mode. Celui de Cal se présentait comme un bandeau gris métallique, strié de quelques bordures noires, qui entourait le crâne. Il était sobre, mais Callan détestait les connecteurs trop clinquants, trop tape-à-l'œil, qui juraient avec les différents environnements des mondes. Jenna, en revanche, semblait enchantée du sien.

— Très joli, tu vas être une vraie princesse avec ça. Tu le montreras à ton amoureux Léo, la taquina-t-il.

— C'est pas mon amoureux ! protesta la petite fille, en tirant la langue. Mais toi, tu es amoureux de Candice.

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