Il Était Temps

Agent Double

Les paysages familiers défilent sous mes yeux. À travers la campagne anglaise, le taxi me conduit jusqu'à Hampston, ma ville natale. Je subis le trajet, avec la voix de Minnie au téléphone.

-Je rêve de faire machine arrière, de retrouver notre appartement et de me lamenter sur mon lit, je lui dis.

-Tu l'as déjà fait toute la semaine, râle ma meilleure amie et colocataire. Tu ne pourras pas te plaindre éternellement.

-Tu as raison. Je suis assez épuisée comme ça.

Je n'ai presque pas fermé l'œil ces dernières nuit. Dès que je m'endors, je rêve de lui. De son sourire, de sa voix, de son regard...
Plusieurs fois, j'en ai même cauchemardé. Je me retrouvais dans un tribunal, jugée coupable par ma sœur. Je me réveillais toujours au moment où Jace concluait: "Lizzy Higan, coupable d'aimer le fiancé de sa sœur, a reçu comme châtiment le retrait de son cœur".
Depuis, je ne pense qu'à ma faute. Qu'à ma bêtise, à mes sentiments et à ma famille.

-Trouve une excuse, me conseille mon amie. Dis que tu es malade.

-Ma sœur ne va pas me croire.

-Je ne vois qu'une solution alors.

-Me crever les yeux pour éviter de le mater?

-Fais demi-tour.

Je reconnais quelques maisons lorsque le taxi entre dans la ville.

-Impossible. J'arrive dans la ville "Jace city".

-Bon courage mon cœur! rit mon amie.

Je raccroche en arrivant au centre du village. Je ne reviens jamais à Hampston, mise à part pour la veillée de Noël et les repas de famille qui se limitent à la maison Higan. Pourtant, la ville est bourrée de charme, mais je l'ai fui dès que j'ai obtenu ma majorité.

Je paye le taxi et traverse la place centrale. Tous les souvenirs remontent à la surface. La boulangerie des frères Pete et Peter n'a pas changé, ni la vieille Paty, ennemie juré de ma grand mère, qui tient la librairie.

-Bonjour Lizzy, ça faisait longtemps! me salue Pete, un des jumeaux boulangers. 

-Ravie de vous revoir! je réponds en adressant un signe de main aux deux frères. Bonjour madame Lindwsor. 

-Mmm, grommelle Paty. 

Une ruelle mène au cabinet du docteur Williams. C'est là où j'ai échangé mon premier baiser avec Georges Williams. Je détourne le regard en retrouvant le banc sur la place du village. C'est là où j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps quand Georges Williams m'a quitté.

Mes pas me font rapidement arriver dans le futur cabinet de ma sœur. C'est l'ancienne charcuterie de mon grand-père. Petite, je jouais entre les vieux établis, le comptoir usé et la peinture écaillée.
Lorsque je rente dans l'ancien magasin emblématique, je me demande si je ne me suis pas trompée d'endroit. Le parquet cabossé est devenu lisse et brillant. Les murs sont blancs, sans tapisseries jaunies par le temps. L'odeur ne sent plus le renfermé mélangé au sang de la viande, mais le neuf avec un parfum féminin.

-Tu en penses quoi? me demande Jace au fond du cabinet. 

-Beau boulot sœurette, c'est complètement différent.

-C'est grâce à Adam, m'explique-t-elle fièrement. Il a tout réalisé. Il a dessiné les plans, conçu l'aménagement et voilà le résultat!

Mon visage se crispe à l'évocation de son prénom. 

-J'ai l'impression que tu n'aimes pas Adam, remarque-t-elle. 

-Pas du tout! Qu'est-ce qui te fait dire une chose pareille?