Chapitre 1. Frères ennemis.

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Mealla, l'aînée, se maria avec un agriculteur et en eut trois enfants, un garçon et des jumelles, rebouteux à des degrés divers.

La cadette, Rina, devint l'épouse d'un instituteur. Elle eut deux fils. Mais son mari était méfiant par rapport à cette histoire de guérisseurs. Il ne souhaitait pas du tout vérifier quoi que ce soit. Pour lui, la science ne pouvait coexister avec les superstitions. Rina avait donc tourné le dos à son don et ça déplaisait bien sûr à notre grand-mère. On ne savait donc pas si les garçons avaient le don.

La benjamine, Liesa, ma mère, s'éprit d'un avocat, Géraud de Lanneusfeld, et en eut deux fils, Niallan, mon aîné de deux ans, et moi, Sacha. Nous possédions tous les deux le don, mais ça ne nous rapprocha pas lorsqu'il se manifesta. Nous n'avions jamais pu nous supporter. Nous nous ressemblions tout en étant très différents. Nous avions hérité de la chevelure châtain et des yeux noirs et profonds de notre père et c'était tout. Mon frère portait ses cheveux courts et moi mi-longs. J'avais un look fantaisiste, j'étais un arc-en-ciel à moi tout seul. J'aimais la couleur, je ne vivais bien que dans la couleur, je m'y épanouissais, comme la fleur sous le soleil. Mon frère était limite rigide, non rigide en fait, violent envers moi. Je crois qu'il n'aimait tout simplement pas ma façon d'être. J'étais trop exubérant pour lui. Nous ne pouvions pas nous accorder. J'avais longtemps cherché cet accord puis j'avais renoncé. Niallan n'avait jamais essayé.

Le jour de mes dix-huit ans, après la dégustation de mon gâteau d'anniversaire, ma mère me tendit un cahier. Elle donna le même à Niallan. J'étais interloqué.

— J'en ai plus qu'assez de vos prises de bec permanentes, déclara-t-elle. Quand vous aviez dix ans, je pensais encore que ça passerait. Ce n'est pas passé, alors que vous avez dix-huit et vingt ans. Alors voilà. Sacha, je sais que nous te devons un autre cadeau, tu l'auras tout à l'heure. Mais pour l'instant, vous allez m'écouter. Vous allez tenir un journal, vous exprimerez vos pensées, positives ou négatives, vous y écrirez ce que vous voulez, pourvu que vous le remplissiez. Vous les échangerez une fois qu'ils seront tous les deux terminés. Et vous lirez ce que l'autre a écrit, du début à la fin. Cette expérience n'a qu'un but : mieux vous comprendre.

Je ne pouvais nier le bien-fondé de ces paroles. C'était une bonne idée. Je regardai mon frère, qui me fixa d'un sale œil, les lèvres serrées, son cahier à la main. Cependant, il n'essaya pas de contredire notre mère. Elle avait trop de caractère, il partait perdant. Quand elle avait quelque chose en tête, elle ne l'avait pas ailleurs, comme on dit.

Nous étions comme le jour et la nuit ou plutôt le jour et la pluie, si l'on se référait à la façon dont se manifestaient nos pouvoirs de rebouteux. Niallan était le jour, brillant violemment, le feu, qu'il ôtait aux gens malades tandis que je déversais une pluie bienfaisante. Voilà donc pourquoi je commençai à écrire ce jour-là. Parce que ma mère l'avait décidé. Parce que ça ne pouvait qu'être une bonne chose pour Niallan et moi.

Quelques jours plus tard, alors que j'avais commencé mon journal, Niallan me montra que pour lui, ça n'avait encore rien changé. Il me balança son poing dans la figure après m'avoir poussé dehors.

Je m'essuyai la bouche d'un revers de main et je considérai le sang qui la maculait. Niallan m'avait fendu la lèvre. Mon frère ne retenait jamais ses coups. Jamais. Et Dieu sait que j'en recevais, des raclées de sa part, malgré la vigilance de mes parents.

— Non mais tu te rends compte ? éructa Niallan. De ce que tu veux leur dire ?

— Et alors ? ripostai-je. Tu l'es bien, toi.

— Justement. Tu ne crois pas qu'un gay, ça suffit ?

— Je n'ai pas choisi ! criai-je. Pas plus que toi ! Nous sommes deux à l'être, que tu le veuilles ou non.

Le jour et la pluie, roman édité, trois chapitres disponiblesWhere stories live. Discover now