Vampires et dragons

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J'enlevai avec précaution les multiples couches de papier de soie dont j'avais enveloppé l'objet. Il apparut alors dans toute sa splendeur : un œuf de jade sombre aux flancs veinés, le sommet incrusté de pierres précieuses. Il avait la taille d'un œuf d'autruche et reposait sur un piédestal en forme de lotus. Il était déjà une antiquité lorsque Qin Shi Huang, le premier empereur de Chine, décida de l'emmener avec lui dans son tombeau, près de deux cents ans avant la naissance du Christ. J'avais passé la soirée de la veille à nettoyer la poussière séculaire qui recouvrait cette superbe pièce.

— Le voilà, Monsieur Wang. Bien entendu, j'y ai joint les photos, les vidéos et le plan de la zone d'excavation. J'ai même pris le temps de faire établir un certificat par un expert indépendant, dis-je en anglais.

L'homme sembla presque sur le point d'éclater en sanglots. La vue d'une telle beauté a cet effet sur certains mordus d'art antique. Mais il se reprit tout de suite et pianota rapidement sur le clavier de son ordinateur.

— Madame Lung va être ravie, Mademoiselle. Et bien sûr, votre argent vient d'être viré.

Je tirai mon smartphone de mon sac et me permis de vérifier. On n'était jamais trop prudent... Les chiffres que je vis s'afficher sur l'écran me rassurèrent totalement. Nous échangeâmes quelques politesses avant que je ne prenne congé.

— Encore toutes mes amitiés à Madame Lung !

Je passai la porte du bureau vitré pour me retrouver dans le couloir. Je dédaignai l'ascenseur, comme d'habitude, et me retrouvai bientôt dans la rue, trois étages plus bas, au milieu du vacarme habituel de millions de voitures roulant au pas dans Shanghai à l'heure de pointe. Les trottoirs, bien que larges, étaient bondés. J'avais pourtant l'habitude de travailler au fond de souterrains étroits, mais dans cette mégapole, au milieu de la foule compacte de mes semblables, je manquais d'espace. Je levai machinalement les yeux vers le ciel pour y trouver un peu d'air. Ce qu'on en voyait était encadré par une double rangée de bâtiments. Même s'ils n'étaient pas des gratte-ciel, chacun n'en faisait pas moins de quinze étages. Les rayons roses du soleil couchant se reflétaient sur leurs fenêtres. Heureusement, j'allais bientôt quitter cette ville. Je me faufilai tant bien que mal jusqu'au métro. L'endroit, avec ses immenses plateformes, son design sobre, ses surfaces polies et son plafond haut, était sans comparaison avec son homologue parisien, mais le nombre de passagers également. Aussi je me retrouvai écrasée comme une sardine, exactement comme dans tous les métros du monde à cette heure.

Malgré cela, je me sentais légère. Huit cent mille dollars, mon plus gros contrat. Le problème, c'est qu'avec ces types qui me surveillaient toujours, je ne pouvais pas vraiment faire de dépense spectaculaire. Ils n'avaient pas encore trouvé ma trace parmi le milliard et quelques de Chinois, mais mon visa allait expirer dans deux jours et j'aillais devoir quitter l'ex-Empire du Milieu. Cependant, l'Asie semblait me réussir. Alors j'allais y rester encore un peu et me permettre une petite folie discrète. Peut-être une virée shopping à Singapour, pour une nouvelle garde-robe ? Ou trois semaines de vacances sur une plage balinaise ? Après deux mois seule, à creuser, étayer et ramper dans la boue et la poussière cela me ferait le plus grand bien. Plus tard, à tête reposée, je pourrais réfléchir sérieusement à mon problème. Quelqu'un m'écrasa les orteils de son talon aiguille, me tirant de ma rêverie. Je jetai un coup d'œil à l'affichage. Après tout ce temps, je commençais à reconnaître certains caractères chinois. Encore deux stations. Je profitai des quelques centimètres d'espace qui venaient de se libérer autour de moi pour glisser ma main dans mon sac, éteindre mon téléphone et sortir sa batterie à tâtons. On ne risquait plus de suivre son signal, une fois que je serais dans la rue. Pour ma dernière nuit à Shanghai, j'allais aussi changer d'hôtel. On n'était jamais trop prudent. J'avais libéré ma chambre le matin même et laissé mes bagages dans la réserve. J'avais l'habitude de voyager léger, de toute façon.

L'Œuf-tonnerreWhere stories live. Discover now