L'Œuf-tonnerre

Les Détails du contrat

Elle s'arrêta devant une porte de métal brossé, l'ouvrit et s'effaça pour me laisser passer. Le personnel de Madame Lung avait décidément des manières impeccables. J'entrai dans une luxueuse série de pièces de style moderne, aux couleurs neutres. La moquette était aussi épaisse et moelleuse qu'un matelas. Cela me rappela que cela faisait des mois que je n'avais pas dormi dans un lit digne de ce nom. Dans la pièce principale, une immense baie vitrée offrait une vue splendide sur les gratte-ciels illuminés de Pudong se reflétant dans le fleuve. Un peu en retrait, murmurait une petite fontaine destinée à calmer les hommes d'affaire stressés.

La jeune femme vogua vers un bureau de verre et d'acier et y déposa le dossier de cuir rouge.

— Votre copie du contrat.

C'était la première fois que j'entendais le son de sa voix. Basse, avec un fond d'accent anglais. Elle sortit un petit livret du tiroir du bureau :

— Ici, vous trouverez le numéro du service d'étage. Et vous pouvez accéder à Internet avec ce mot de passe.

Par-dessus, elle posa une feuille de papier et y griffonna quelques chiffres :

— Et si vous avez des questions, appelez-moi à ce numéro. Je serai votre interlocutrice pour cette mission.

— Ah, oui... Heu... qui dois-je demander ?

Il y eut une pause imperceptible.

— Je suis l'assistante personnelle de Madame Lung. Mon nom est Martha Wyvern.

Il me sembla vaguement avoir entendu ce nom quelque part. Mais j'étais trop fatiguée et choquée pour me souvenir des circonstances.

Lorsqu'elle fut sortie, je commençai par caler une chaise contre la porte. Dur de se débarrasser des vieilles habitudes. Ensuite, je mis le coca au frigo, ouvris un autre paquet de chips et en enfournai une poignée. Tout en mangeant, je repassai dans ma tête l'incroyable situation où je m'étais fourrée. Après avoir été poursuivie par une bande de vampires, je me retrouvai employée par une dragonne pour rechercher un objet volé il y a près de deux mille deux cent ans. Et je ne savais même pas ce que c'était au juste.

Il me manquait beaucoup trop de données dans ce problème, mais j'avais surtout le sentiment de m'être royalement et stupidement faite avoir dès le départ. D'abord pourquoi Madame Lung m'avait-elle choisie pour excaver cet artéfact ? Elle m'avait dit qu'elle avait déjà embauché d'autres chercheurs, mais qu'ils ne l'avaient pas trouvé. Certes, j'avais eu la chance et l'intuition de remarquer le passage muré dissimulé sous une couche d'enduit, mais avec du temps, n'importe quel archéologue l'aurait découvert. Peut-être cherchait-elle une fille sans famille dont la disparition n'inquiéterait personne ? Lorsqu'elle m'avait contacté sur ce forum clandestin, savait-elle déjà que j'étais poursuivie par les vampires et pressée de quitter l'Europe ?

Ensuite, comment m'avait-elle retrouvée aussi vite après que je lui aie délivré la marchandise ? M'avait-elle fait surveiller pendant les fouilles ? M'avait-elle faite suivre ? Ou alors... avait-elle un moyen magique pour savoir où j'étais ? Était-elle pour quelque chose dans ce fameux typhon qui m'avait empêchée de quitter Shanghai ? D'après le peu que j'en savais, les dragons chinois n'étaient pas de simples lézards avec un gros estomac et de grandes dents, comme leurs homologues occidentaux, ils avaient des pouvoirs beaucoup plus vastes et contrôlaient le climat. Surtout, comment négociait-on avec les créatures magiques, en général ? Les exemples que j'avais pus voir dans les dessins animés de mon enfance ne semblaient pas correspondre à la situation. J'allais devoir me renseigner rapidement, mais où ?

Enfin, il y avait une dernière question beaucoup plus insidieuse : en admettant que je trouve ce fameux truc, allait-elle vraiment me laisser partir sans me transformer en biscotte ?