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Il fait froid, j'ai froid. Je tremble. Il pleut, le ciel pleur mon insouciance et les éclairs crient ma violence. Je déteste mentir, cacher la vérité, mais je dois le faire, je dois agir. Mon corps est secoué de spasmes, mon parapluie me protège de l'orage, pas vraiment. Je suis trempée jusqu'à l'os, mes cheveux sont mouillés jusqu'aux racines. Il est 22 heures, le Big Ben sonne. La ville est détendue, mais toujours vivante, sous une pluie qui engloutit les visages. Il fait sombre, les lampadaires sont macabres, tout me parait triste.
Je marche, d'un bon pas, mais je tangue d'un pieds à l'autre, j'ai peur. Et c'est aussi la première fois de ma vie que je porte des talons hauts. Je les ai achetés hier soir, ils sont rouges et mats, pas brillants. Ils accompagnent bien mon jean tomboy et mon chandail noir délavé.
Mon maquillage coule sur mes joues. J'aperçois l'adresse, au loin, un numéro brillant. Je m'avance et m'arrête de l'autre côté de la rue. Les taxis passent, m'éclaboussent. Les passant se précipites vers leur destination, ils ont froid, comme moi, mais pas le même froid. Ils ont un froid de glace et j'ai un froid de mort.
Il m'en veut. Je le sais, et il a peur, je le sens.
Je traverse la rue et pénètre dans le bâtiment.
Ça y est, je suis décidée, je vais voir mon petit être, il me verra, et ça sera la fin. Le début de la fin.

🌹

J'avais 17 ans et je me sentais comme une pute.
La jalousie est la source de bien des malheurs.
Pour la deuxième fois de ma vie, Emma Hull, oui, moi, je portai des talons hauts. Mais les talons qui me raturent les pieds en ce moment même ne sont ni rouge, ni vernis. Ils sont noirs et en velours...et gigantesques, beaucoup trop haut. J'ai toujours été un peu tomboy, et cet élan de féminité ne me va pas du tout, je grimaçai à mon reflet.
J'ai toujours critiqué le maquillage, avec un certain respect, et j'ai toujours critiqué l'hypersexualisation.
Une femme ne devrait pas être en bikini pour faire une annonce de crayons.
En parlant de crayons, les filles du genre:
Oups! Awn, j'ai échappé mon crayon, hihi! C'est pas vrai, il va falloir que je me penche...
Gros plan sur des fesses refaites et une poitrine cachée derrière un mince tissus transparent, ça m'énerve et me dégoûte.
Et maintenant, je me retrouvais en backstage d'un bar de striptease quelque part perdue dans les rues londoniennes, maquillée et en sous-vêtements.
Je soupirai en me regardant une dernière fois dans le miroir. Je déteste les talons. Je déteste ce minuscule ensemble de dentelles noires qui ne cache absolument rien de mon corps.
Je fermai les yeux...
Tu n'aurai pas eu une belle vie petit ange, attend moi là haut.
Je soupirai de nouveau, allez arrête de te juger Emma. Je pris une dernière gorgée d'eau et titubai jusqu'à la salle commune.
Finalement, le jugement fut au rendez-vous. Être dans une pièce remplie de femmes âgées entre 17 ans et 35 ans, toutes en sous-vêtements sexy, c'est jugeable, et ça fait mal à l'orgueil, et à l'estime de soi.

Patrick Drats, un latino avec un nom vraiment pas exotique, se tenait debout au milieu des filles. Il me sourit, je le lui rendis faiblement. Il m'a en quelque sorte sortie de la merde. Il m'offre un toit dans un petit motel au dessus du club, gratuitement, pas vraiment. L'argent que je ramasserai par soir, il en déduira 45% pour lui et pour payer ma chambre.
Il frappa un coup dans ses mains et tout le monde se tut. Il commença un discours.

"Bien, tout le monde est prêt. Écoutez les filles, ce soir, et pour les deux prochaines semaines, il y aura des clients beaucoup plus riches que d'habitude dans la salle uniquement parce que c'est la semaine du Congrès du travail en ville. Je vous averti, ne vous approchez pas trop des hommes d'affaires à moins qu'ils ne vous fassent signe, compris?"
Je perdis le fil de son discours après avoir murmuré un léger oui en choeur avec les autres. Je passai les autres stripteaseuses au peigne fin. Elles étaient toutes jolies et innocentes, mais je restai tout de même la plus jeune. Je n'avais même pas la majorité...
Ce soir, mon premier soir, je me sentai vraiment énervée et je paniquais un peu, nan, en fait, vraiment beaucoup. Allais-je aimer ça? Question vraiment stupide, qui aimerais vendre son corps? Qui aimerais danser sur et pour des inconnus? Je grimaçai, moi, j'allais faire ça.
"Emma!"
Je sursautai en entendant Patrick dire mon nom. Toutes les filles se tournèrent vers moi. Je sentis une gêne se frayer un chemin en moi, mais après avoir réalisé que les filles me souriaient ou me regardaient avec un regard compatissant, je stoppai de mon mieux la rougeur sur mes joues.
"Les filles, c'est le premier soir d'Emma, j'aimerai que vous jetiez un oeil sur elle tout au long de la soirée tout en faisant votre travail, c'est bon?"
Patrick frappa de nouveau dans ces mains, annonçant le début de la soirée, il était 9 heures, et le bar fermait à 2 heures du matin. Ce qui faisait 5 heures de travail...acharné.
Lets go Emma.
Quelques filles vinrent me souhaiter bonne chance, d'autres me souriaient ou me donnaient une légère tape sur l'épaule.
Une grande blonde jonchée sur des talons bleus brillants vint vers moi. Elle attrapa mes épaules en souriant.
"Écoute chérie, je sais que c'est dur la première fois, mais ça va bien allé. Les gars, parfois des hommes, mettront de l'argent dans tes sous vêtements ou dans tes bas de nylon. Deuxième chose, ne va pas dans les coins trop sombres. Si un homme te parait vraiment suspect, plus que la normal, ou si il te fait mal, fait signe à une fille le plus vite possible. Si un homme veut te ramener, tu le ramène à l'entrée et tu vas voir Patrick, compris? Ah et dernière chose, les hommes d'affaires, c'est eux qui donnent le plus, mais ils ont les attentes les plus exigeantes, alors fait attention. Eh puis, les filles et moi, on t'aime bien, et on risque d'être un peu protectrice ce soir, alors si il y en a une qui te vol un mec ou qui te prend et t'amène plus loin, c'est pas par méchanceté, c'est qu'on connait les clients et qu'il y en a des...moins bons." Elle me sourit, me serra dans ces bras vite fait et ce tourna vers le rideau qui nous séparait de la salle, on y entendait déjà des cris et des rires, les autres filles étaient déjà sur le plancher.
"Au fait, je suis Kim" et elle disparut sur scène.
Ok...Kim. Très bien. Vas-y Emma...
Je m'avançai vers le rideau, mon coeur battant très fort entre mes oreilles, une boule de stress dans mes entrailles. Agis sexy Emma...
Je passai les rideaux d'un coup et me retrouvai dans une salle pleine à craquée. Je vis Patrick me lâcher un petit sourire dans le fond de la salle avant de s'éclipser vers la réception. Tout allait si vite, des filles dansaient sur la scène au milieu pendant que d'autres se promenaient entre les hommes. Je m'avançai hésitante entre les tables et sentis des regards sur mon corps. Une main se posa sur ma hanche et me fit tourner vers un grand homme blond avec des yeux verts. Il me sourit et je lui rendis son sourire avec une certaine hésitation avant qu'il ne me fasse m'asseoir sur lui.
D'un coup, l'adrénaline et ces mains sur moi me firent effet et je perdis un peu mon stress. J'entourai la chaise de mes jambes en bougeai des hanches sur le blond. Il posa ces mains sur ma poitrine et j'attrapai sa nuque entre mes mains et collai sa bouche à la mienne de manière osée avant de me relever et de lui faire un clin d'oeil, je voulais commencer ma soirée doucement quand même. Il me tapa gentiment une fesse ce qui me fit rougir avant de mettre trois billets sur le haut de mes bas.
"Allez, va jouer ailleurs chérie, d'autres gars ont besoin de profiter de ton jolie petit cul"
Je partis en trébuchant gentiment, fuck les talons, je me fis siffler en dépensant un coin plus sombre de la salle, mais je ne m'arrêtai pas, je voulai et devai suivre les conseils de Kim.

🔻🔺🔻🔺

2 heures du matin sonna. Je me rendis, fatiguée, épuisée, salie, dans les vestiaires. J'enlevai mes talons rapidement et m'affalai sur le divan de ma loge en soupirant. Je fermai les yeux et laissai la soirée me rentrer dedans...
Des hommes, parfois des femmes, me demandant de danser pour eux. Des sifflement, de l'argent, de la sueur, quelques moments de paniques et d'incertitudes...mais surtout, un sentiment étrange, comme si on m'avait regardé toute la soirée.
Peut être que mes prières c'étaient finalement faites entendre et que Dieu se décidai à regarder mon dossier pour voir si je méritai son aide...Eh bien trop tard mon bon Dieu, je suis devenue une pute.
Mes yeux s'humidifièrent et des larmes roulèrent sur mes joues jusqu'à mes lèvres. Un spasme m'étrangla et me coupa le souffle, j'éclatai en sanglot.
J'avais tout perdu, mes amis, ma famille, ma vie, mon identité. Tout ça à cause de lui...il était jaloux. La jalousie fait faire des choses terribles, et c'est moi qui en subit les conséquences, juste parce que j'étais heureuse.
Je me recroquevillai sur moi même, mes yeux brouillés par les émotions, je tremblais, j'avais la tête en compote, et j'avais mal, mal au coeur, surement dégouté de moi même.

On cogna à la porte. Je sursautai et me levai rapidement, je n'étais toujours pas changée. Je clignai des yeux, reniflai et séchai mes larmes. J'allai ouvrir la porte.
"Oui?" Dis-je en ouvrant. Patrick.
"Je peux entrer?"
J'acquiesçai et le lassai rentrer. Il pénétra dans ma petite pièce munit d'un canapé rouge, d'un miroir et d'une chaise à maquiller ainsi qu'un minuscule garde robe. Les mûrs étaient d'un gris délavés et la pièce était mal éclairée. Après un tour sur lui même, il se figea devant moi les sourcils froncés.
"Tu n'as pas voulu décorer?" Demanda-t-il poliment. Je l'interrogeai du regard.
"Les autres filles rendu leurs pièces plus...accueillante et...personnalisée. Avec des photos d'artistes qu'elles aiment, de leur copain ou de leur famille"
Ah.
Je ne répondis rien et soulevai les épaules. Il me fit signe de m'asseoir dans mon propre canapé, il attrapa mon tabouret maquillage et s'assit dessus, juste en face de moi.
"Emma, je suis très fier de ta première soirée, tu as fait ça comme une pro"
Comme une pro? Mais oui, c'est ça. Une jeune adulte, même pas encore adulte, mal dans sa peau, vraiment, je vois pas comment j'aurai pu agir avec professionnalisme.
"Ça doit surement être dur pour toi"
Ouais, mais c'est pas avec toi que je vais en parler.
"Écoute, je sais que tu es débutante" ah j'étais pas une pro il y a quelques secondes? "Mais j'ai une offre pour toi"
Une offre? C'est bon signe, ça?
"Travailler ici, dans ces conditions, c'est...écoute, c'est pas pour les filles de 17 ans qui connaisse rien à la vie"
Ah. Tu serai surpris, si tu savais, je m'y connais très bien à matière de vie et de mort.
"Eh puis, ce n'est pas vraiment légal pour moi"
J'écarquillai des yeux, c'est une blague? C'est lui qui a proposé de m'aider! Il ne peut pas me renvoyer dès le premier soir, j'ai besoin de ce toit, de cette argent, de...je ne veux pas retourner à la rue.
"Emma...ne panique pas, je ne te jette pas dehors" dit il simplement "je vais juste...t'envoyer ailleurs. Dans une meilleure place pour toi"
Si c'était censé être rassurant, ça ne l'est pas du tout. Ailleurs? Où ça? Avec qui? Et pourquoi?
"Demain sera ta dernière soirée ici, et aussi ta deuxième" il rigola nerveusement et mon coeur s'emballa "tu iras dans un endroit meilleur. En tout cas, meilleur que la rue"
Puis, il me sourit avant de sortir et de me laisser en plan, comme ça, dans l'inconnu de son ailleurs supposément mieux que la rue. Ça veut dire quoi? Que son endroit est pire qu'ici? J'y crois pas, dans quelle merde je suis...

I'll never forgetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant