MEXICO
TIJUANA
Tijuana n'était jamais vraiment silencieuse. Même au cœur de la nuit, alors que les lampadaires projetaient leurs halos jaunes sur les ruelles crasseuses, la ville semblait respirer, haleter comme une bête blessée. Des rires d'ivrognes filtraient d'un bar voisin, une moto déchirait soudain le calme apparent, et plus loin, les sirènes de la police grésillaient sans conviction. Mais pour Kaysan, tout cela n'était que du bruit de fond.
Il avait appris à distinguer les sons qui comptaient. Le claquement d'une arme qu'on arme discrètement. Le froissement suspect d'un pas qui s'attarde derrière vous. Le silence lourd qui précède une embuscade. Le reste n'était que décor, une rumeur constante qui n'avait plus d'importance.
Il roulait lentement dans un SUV noir, vitres teintées, le coude posé sur la portière. Son visage n'exprimait rien. Ses yeux, sombres, fixaient la route comme s'il y lisait un langage invisible. Les autres parlaient de lui comme d'un fantôme. El Silencio. On disait qu'il n'avait pas besoin d'élever la voix pour qu'on l'écoute. Qu'il tuait sans prévenir, sans bruit, et disparaissait aussitôt. Des rumeurs, peut-être. Mais dans ce monde, les rumeurs suffisaient à donner la peur.
Il gara la voiture dans une rue étroite de la Colonia Cacho, quartier chic où vivaient les têtes du cartel. Les façades blanches aux portails blindés contrastaient avec la misère des collines environnantes. Ici, les villas s'érigeaient comme des forteresses, avec leurs barbelés et leurs caméras de surveillance. L'argent du sang avait une odeur particulière : celle du cuir neuf, du parfum importé, et des piscines éclairées au néon.
Kaysan sortit du véhicule. Sa silhouette imposante se découpa un instant dans la lumière. Deux hommes, armés de fusils d'assaut, s'écartèrent aussitôt devant lui. Il n'avait pas besoin de montrer ses papiers. Sa réputation suffisait.
Il entra dans la maison. Le hall résonnait encore des basses d'une fête passée. Verres à moitié pleins, cendriers débordants, odeur d'alcool. Mais ce soir, tout était calme. Seuls trois hommes l'attendaient dans le salon, nerveux.
— El Silencio, murmura l'un d'eux, la voix hésitante.
Kaysan ne répondit pas. Il ôta lentement ses gants en cuir et s'assit. Le silence s'épaissit. Les trois hommes échangeaient des regards, comme s'ils attendaient un jugement.
Enfin, il parla, d'une voix basse, presque calme :
— Qui a parlé ?
Personne ne répondit. L'air se fit plus lourd. Le tic-tac d'une horloge résonna dans la pièce comme un coup de marteau.
Un des hommes finit par baisser les yeux. Sa respiration s'accéléra. Il savait. Ils savaient tous.
Kaysan se leva. Sa démarche était lente, mesurée, chaque pas résonnant sur le carrelage. Il s'arrêta devant celui qui tremblait le plus, un type au visage encore jeune, mais ravagé par la peur.
— C'était toi, dit Kaysan simplement.
L'homme leva les mains, balbutiant :
— Non, non, je jure que...
La balle claqua avant la fin de sa phrase. Un tir sec, net. Le corps s'effondra lourdement sur le sol, éclaboussant de sang la table basse. Les deux autres sursautèrent, mais restèrent figés, pétrifiés.
Kaysan remit son arme dans son étui, essuya à peine une éclaboussure sur sa manche. Son visage était resté impassible.
— La loyauté se paye, dit-il calmement. La trahison aussi.
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demain peut-être.
RandomMahera a grandi dans un monde qui ne lui a laissé que des cicatrices et des silences. Fragile et perdue, elle porte le poids de son passé dans chaque regard, chaque geste. Dans un univers où la douleur façonne les destins, elle cherche sa place, ent...
