𝟏𝟏 ⸺ instant fragile

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Elle referma son livre doucement, sans le quitter des yeux, puis fit mine de se détourner pour continuer sa recherche un peu plus loin dans le rayon. Elle ne cherchait pas à forcer, elle n'était pas là pour briser ses défenses à coups de marteau. Elle était juste là pour lui rappeler, par sa présence tranquille et ses mots posés, qu'il n'avait pas besoin de rester prisonnier de ses automatismes.

Même s'il décidait de ne pas répondre aujourd'hui.

Saori, toujours à côté de lui dans le rayon, fit mine de replacer son livre et croisa les bras sur sa poitrine, penchant un peu la tête pour le regarder. Elle semblait réfléchir quelques secondes, à peser ses mots. Puis, sans prévenir, elle laissa échapper doucement:

Hiromi...?

Le son de son prénom le fit légèrement tressaillir. Ses yeux quittèrent la couverture du roman qu'il fixait et vinrent rencontrer les siens, surpris par le ton presque malicieux qu'elle employait.

Elle soutint son regard, tranquille, et un coin de ses lèvres se releva en un demi-sourire.

Dites-moi... reprit-elle calmement, êtes-vous capable de sourire?

Elle laissa planer la question dans l'air, sans se départir de son léger sourire. Puis elle se pencha légèrement vers lui, ses longs cheveux blancs glissant devant son épaule, et ajouta, sur le même ton, mais un peu plus bas:

Je serais curieuse de le voir. Et pour ça, je me disais que peut-être vous accepteriez de venir boire un verre avec moi, ce soir.

Ce n'était pas une plaisanterie malveillante, ni un pari. Seulement une invitation implicite à se détendre, à exister autrement que dans ce costume froid d'avocat ou d'homme renfermé.

Hiromi resta figé un instant. Il cligna des yeux, pris de court par l'audace tranquille de la jeune femme. Puis ses traits se durcirent à nouveau, presque imperceptiblement.

Non, répondit-il presque immédiatement, d'une voix basse et ferme.

Elle ne sembla pas vexée. Elle haussa un sourcil, comme amusée par son refus catégorique.

Non ? répéta-t-elle doucement, l'air de vérifier qu'elle avait bien entendu.

Non. Je n'ai pas le temps.

Elle garda son sourire, léger, sans chercher à le contrarier davantage.

Je vois, dit-elle enfin.

Elle ramena ses mains derrière son dos, faisant un petit pas en arrière pour lui laisser de l'espace. Ses yeux restaient accrochés aux siens, comme pour lui dire qu'elle comprenait, qu'elle ne lui en voulait pas.

Une autre fois peut-être, Hiromi.

Elle se détourna tranquillement, reprit un livre d'une étagère voisine, feignit de le feuilleter, mais son sourire discret resta sur ses lèvres.

Elle ne l'avait pas gagné aujourd'hui, mais elle ne cherchait pas à le gagner en un seul jour. C'était déjà une victoire pour elle d'avoir osé poser la question, et d'avoir vu, peut-être, une infime hésitation dans le regard d'Hiromi avant qu'il ne dise non.

Saori resta immobile quelques secondes, un peu plus loin dans le rayon, le dos droit, ses doigts caressant distraitement la tranche d'un livre sans le tirer de l'étagère. Son sourire avait disparu, et son regard se perdit dans un point flou au loin. Elle semblait tout de même déçue, mais pas en colère, plutôt une déception douce, résignée.

Puis, avec une lenteur inhabituelle chez elle, elle remit le livre en place et se détourna complètement. Elle traversa la petite librairie en silence, sans jeter un œil à la caisse, ni même à une dernière étagère comme elle en avait pourtant l'habitude. Et lorsqu'elle poussa la porte grinçante, la lumière du jour se glissa sur ses cheveux avant qu'elle ne disparaisse dehors. Les clochettes tintèrent une dernière fois.

𝐒𝐓𝐑𝐀𝐍𝐆𝐄𝐑𝐒 𝐈𝐍 𝐓𝐇𝐄 𝐍𝐈𝐆𝐇𝐓Where stories live. Discover now