De Bordeau à Carmin (1. à 5.)

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1. Bordeaux

Tester.

Tuer.

Ces deux mots ne faisaient plus qu'un dans l'esprit de J.

Ils résonnaient dans son crâne comme une chanson enfantine.

C'était comme un ordre à présent.

Tue. Teste. Éprouve. Combats.

Et à cette liste s'ajoutait parfois : vis.

Comme si la vie se résumait à ces actions, comme si plus rien n'avait d'importance, comme si, sans cet ultime geste qu'est donner la mort, une vie ne vaut rien. Donner la vie ou donner la mort, c'est à la portée de tous, mais pour le second cas, personne n'ose franchir le pas.

Jour après jour, nuit après nuit, J. devenait une bête. Il n'avait plus de raison de vivre. Il n'éprouvait plus rien. Son corps était devenu hermétique à tout sentiment. Il errait comme un fantôme, sans but, sans personne pour l'épauler.

Mais un jour, quelque chose de produit. Un chat -une magnifique bête d'un noir de jais, aux pattes fines mais puissantes et à la carrure élégante- se posta à sa fenêtre, le regardant de ses yeux verts envoutants. Il s'approcha de lui, posa sa main sur sa petite tête et le caressa. Puis, il la bougea et a fit descendre le long de la colonne vertébrale de l'animal.

Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas touché un être vivant. Cela lui donna des frissons. Il sentait quelque chose de nouveau en lui. Un sentiment inconnu, indescriptible. Alors, il empoigna le chat par le cou et serra.

Il serrait de plus en plus fort. Le chat se débattait et le griffait. Du sang coulait de ses nouvelles blessures en des gouttelettes d'un rouge éclatant. La vie quittait le corps de ce petit être. Il eut un pincement au cœur. Il était tiraillé entre la raison et la folie.

Tuer, ou ne pas tuer ?

Vivre ou mourir ?

Qui était-il pour décider ?

Il lâcha le cadavre encore chaud de l'animal. Il regarda ses mains. Des lignes de sang s'étaient formées sur ses bras. Son sang. Qu'est-ce que cela faisait d'avoir le sang d'un autre sur les mains ?

Quelle est la mort la plus horrible ?

En combien de temps un humain meurt-il ?

Quelle est la mort la plus longue ?

A t'on peur ?

Mais qu'est-ce que la mort ? Qu'est-ce que la peur ? Qu'est-ce que la vie ?

J. vivait-il, là, maintenant ? Oui, il se sentait vivant. C'était même la première fois depuis longtemps.

Ces questions lui trottèrent dans la tête pendant longtemps. Il avait gardé le cadavre du chat au milieu du salon, si bien qu'il pouvait l'observer à chaque fois qu'il s'asseyait sur son fauteuil.

Il semblait tellement serein ! La béatitude se lisait sur son visage. Comme si son enveloppe charnelle n'était qu'un poids, et que l'âme enfin libérée s'envolait vers les cieux. Il arriva à la conclusion que la mort est une certaine forme de libération. Plus de problème, plus d'ennemis, plus d'amis, juste une âme voguant dans les nuages au rythme du vent, profitant des tumultes des orages pour valser avec la pluie.

Tuer rime avec libérer.

Alors, J. étudia pendant longtemps. Il étudia l'anatomie, la biologie. Il regardait les corps des cobayes humains de ses livres, les frôlait du bout de ses doigts. Il était différent, mais pourtant si proche d'eux. Il avait le même corps, mais pas le même esprit. Il se sentait supérieur, intellectuellement mais aussi spirituellement.

Cinquante nuances de rouge [ANCIENNE VERSION]Where stories live. Discover now