Un vent tiède s’engouffre dans la cuisine ouverte. Il fait encore un peu frais pour un mois d’avril, mais Millie aime ça : ce genre de matin calme, où la cafetière ronronne, où les petits bruits de la maison font écho à une paix fragile mais réelle.
Evan, 8 ans, est assis sur le rebord de la fenêtre, les jambes croisées sous lui, une feuille de carnet sur les genoux. Il dessine en silence, concentré.
Hana, 5 ans, sa petite sœur, est affalée sur le tapis, encore en pyjama, ses chaussons tête de chat aux pieds. Elle fait tourner une figurine de ballerine sur la table basse. « Papa va rentrer quand ? »
« Bientôt, ma puce. Il avait dit après le week-end, tu te souviens ? »
Elle hoche la tête, comme si elle se donnait du courage. Elle tient de Jin, cette façon de ne pas dire quand quelque chose lui manque.
Cole, 12 ans, débarque dans un grand bruit de basket mal lacées. Il balance son sac au sol, attrape une pomme dans la corbeille, mord dedans sans un mot.
« Salut, toi. Bien dormi ? »
Il hausse les épaules. Un grognement pour toute réponse. Millie soupire en coin. À douze ans, Cole est à la croisée : trop grand pour les câlins à voix haute, pas encore assez vieux pour cacher qu’il en a besoin.
Chloe entre sans frapper, comme toujours. Elle pousse la porte d’un coup d’épaule, ses cheveux attachés en vrac, un tupperware dans les mains.
« J’ai fait des muffins. Eugenia a insisté pour qu’on en amène à ses cousins. »
« Tante Chloooe ! » crie Hana en courant vers elle.
Chloe se baisse en grimaçant, son ventre rond l’obligeant à rester droite. Deux petites filles, à venir. Des jumelles, d’après les dernières échos. Millie ne comprend toujours pas comment elle garde autant d’énergie. Ou peut-être que si — Konig.
Lui est resté dehors, comme souvent. Il bricole un truc dans le coffre de sa voiture avec Evan qui l’observe en silence, fasciné.
Konig ne parle pas beaucoup, surtout depuis l’accident. Son bras gauche reste raide, les doigts absents remplacés par des habitudes nouvelles. Mais Evan ne s’en formalise pas. Il l’admire. Il l’écoute.
Konig, c’est tonton Konig. Un roc. Une présence.
Et pour Amelia et Eugenia, Jin est tonton Jin. Il les couvre de cadeaux ramenés de mission, leur parle doucement, comme à des fleurs fragiles, et fait rire Amelia quand elle se ferme comme une huître.
Ces enfants-là ont grandi ensemble, comme une fratrie élargie. Deux maisons, mais un seul clan.
« Où est Cole ? » demande Amelia en entrant à son tour, cartable sur le dos. Elle a 11 ans, déjà l’allure d’une jeune fille, les cheveux noués en tresse, des livres dans les bras.
« Dehors. Il t’attend, mais il fait genre il s’en fiche, » glisse Millie avec un clin d’œil.
Amelia sourit. Elle comprend. Cole, c’est son meilleur ami, son confident, et depuis peu… un peu plus, mais sans trop de mots. Ils sont jeunes, ils s’apprennent.
Chloe s’assoit à côté de Millie, lui tend un muffin.
« Ça va, toi ? »
Millie hésite. Puis hausse une épaule. « Des hauts, des bas. J’ai rêvé que j’avais retrouvé mon œil. C’était... bizarre. Je voyais en double. »
