Chapitre 19

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Élisha

J'en peux plus, il faut que je sorte de là !

Cette dernière réunion de famille aurait pu être agréable si Ben n'était pas là. Pour commencer je n'avais vraiment aucune envie de le voir, ensuite il se comporte avec moi de manière... comment dire ? Le problème c'est qu'il est absolument charmant. J'ai beau répondre à ses questions en grognant, il ne semble pas s'en offusquer, au contraire, il est toujours plus agréable, drôle, prévenant. Plus je suis désagréable, plus il déploie des trésors de gentillesse. C'en est déstabilisant. À tel point que je sens toute rancœur envers lui fondre comme neige au soleil et je me surprends à sourire à certaines de ses blagues, à chercher son regard... Après ça, comment continuer à le détester ? En tout cas, ce n'est apparemment pas le cas de Daddo qui boit ses paroles et Gran » qui le félicite de sa réussite professionnelle en me lançant des regards lourds de sous-entendus. Encore un peu et tous lui demanderont s'il ne veut pas m'épouser. Bon si je veux éviter ça, il ne me reste qu'une solution : jouer la carte de la garce finie, au risque de me prendre une soufflante par la suite. Ça c'est encore quelque chose que je peux gérer au contraire des émotions que je ressens lorsque Ben est dans la même pièce que moi. Allez en piste !

— Bon... je vais sortir les poubelles, je reviens dis-je en me levant et en attrapant mon fourre-tout.

Tout le monde me regarde avec surprise.

— Tu sors tes ordures avec ton sac à main toi ? s'enquiert Ben.

Le regard soudainement soupçonneux, il se lève et vient me rejoindre.

— C'est quoi cette ruse de merde ? lâche-t-il tout bas, les dents serrées.

— Pardon, je me suis mal exprimée. En fait... c'est toi... je veux que tu sortes de chez moi. Depuis que tu es là, tu m'insupportes autant que l'odeur des poubelles en plein cagnard, lui chuchoté-je, un grand sourire aux lèvres.

Sans attendre plus longtemps, je me dirige vers le couloir, mais il m'arrête dans mon élan en m'attrapant par le coude et me fait pivoter sans ménagement vers lui. Il a l'air furieux, mais c'est d'une voix mesurée qu'il s'adresse à moi :

— Écoute-moi bien, petite garce, sache qu'être ici me fait autant plaisir qu'à toi, mais mon meilleur ami m'a demandé un service et je ne peux pas le lui refuser. Alors, tiens-toi bien et la pilule passera mieux et plus vite. Est-ce que c'est dans tes cordes ou je dois te coller la honte de ta vie devant ton père et ta grand-mère ?

Qu'est-ce qu'il est impressionnant quand il est en colère ! Ça m'en collerait presque des frissons. Bon d'accord, je l'avoue, ça me colle des frissons. Et c'est plutôt agréable. Mais... comment ça il me collerait la honte de ma vie ? Tel que je le connais, il en est bien capable et je n'ai pas forcément envie que cette histoire me colle à la peau durant le reste de ma vie. Et d'abord, c'est quoi cette histoire avec Jonas ?

— Je te déteste, Ben ! craché-je, à la fois furieuse et désemparée par les sentiments que ce mec m'inspire.

Puis je me rends compte que j'ai oublié l'essentiel.

— Attends un peu... c'est quoi cette histoire de service ? l'interrogé-je soudainement soupçonneuse.

— Sois sage et peut-être que je t'en parlerai. Là, tout ce que tu mérites c'est une bonne correction, rétorque-t-il en me prenant de haut

— Alors là, c'est un peu trop facile ! Je te préviens, je ne bougerai pas de là tant que tu ne m'auras pas fourni une explication ! Et ne crois pas m'impressionner avec tes narines qui frémissent et ton regard noir !

— Tout va bien, Élisha ? s'inquiète Daddo depuis le salon.

Merde... manquerait plus que mon père se fasse du souci pour moi. Finalement, mon idée n'était peut-être pas si bonne que ça. Ben ne me laisse pas le temps de réfléchir et m'entraîne à sa suite.

— Et si nous allions nous promener un peu ? Il fait beau, pourquoi ne pas en profiter, qu'en pensez-vous ? lance-t-il à la cantonade.

Ah, ça, c'est une bonne idée ! Pleine d'espoir, je les vois tous se lancer des regards surpris avant de réfléchir. Allez quoi ! Ils ne vont tout de même pas se faire prier !

— Hum... je dois raccompagner Kathia, s'excuse mon père en fixant intensément sa compagne.

— Comme c'est gentil à vous de nous le proposer, jeune homme... dit Gran »

Là tout de suite, je lui baiserais bien les pieds. Ma grand-mère est géniale, comme d'habitude, elle me tire une épine du pied. Instinctive comme elle l'est, elle a dû sentir que je ne suis pas emballée à l'idée de me retrouver seule avec Benjamin.

— ... mais je dois aller chez Albert. Si nous voulons partir avant midi demain, je dois l'aider à faire ses valises. Ah les hommes ! Que feraient-ils sans nous ? déclare-t-elle en me lançant un clin d'œil.

Au temps pour le soutien indéfectible de mon père et ma grand-mère ! En désespoir de cause, mais n'y croyant plus vraiment j'implore du regard Sam qui gênée se dandine d'un pied sur l'autre.

— Je dois débarrasser la table ! s'exclament d'une même voix mon frère et ma meilleure amie en baissant les yeux vers la pointe de leurs chaussures.

Bande de lâches ! Me laisser seule, en proie à Ben, cet ignoble individu ! C'est injuste, c'est... c'est une véritable trahison ! Quand je pense à tout ce que je fais pour eux... d'accord, j'ai un sale caractère, mais je suis toujours prête à leur rendre service ! Ah, c'est à dégouter toute personne normalement constituée d'être un minimum altruiste ! Je tourne les talons et me dirige à nouveau d'un pas énervé vers la sortie, suivie de près par Ben qui, feignant d'être un gentleman, passe devant moi et m'ouvre la porte vers « la liberté » et l'enfer que représente à mes yeux une ballade en sa compagnie.

Gran » me rattrape au moment où je passe le seuil de la porte. Ben est déjà quelques mètres plus loin, attendant l'ascenseur.

Quatre paires d'yeux nous observent ma grand-mère et moi depuis le bout du couloir. Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ?

— Élisha ?

­— Oui Gran », tu voulais me dire quelque chose ?

—... sweetheart, commence-t-elle prudemment, écoute les conseils de la vieille dame que je suis. C'est un homme bien, ce Ben. Tu devrais lui laisser une chance.

Ben voyons... si même ma grand-mère s'y met...

— Mais, je... protesté-je

Elle lève sa main ridée en signe d'objection.

— Juste cette fois... prends le temps d'y penser, sweety, demande-t-elle comme une prière.

Puis sans rien ajouter de plus, elle me pousse gentiment hors de l'appartement dont elle referme la porte, me laissant sur le palier avec cette impression d'avoir été jetée en pâture au grand méchant loup par ma propre famille.

Toi et moi, désastre assuréWhere stories live. Discover now