𝐁𝐄𝐓𝐖𝐄𝐄𝐍 𝐓𝐇𝐄 𝐋𝐈𝐍𝐄𝐒 ; 𝑎 𝑠𝑜𝑛𝑔 𝑓𝑜𝑟 𝑎𝑛 𝑜𝑡𝘩𝑒𝑟

✦ C H A P I T R E • C I N Q

Je garde le silence, mes pas se faisant plus rapides, plus pressés, tandis qu'une partie de moi meurt d'envie de fuir à toutes jambes. Finalement, voyant que je ne réponds pas, il se lasse, s'éloigne en marmonnant des insultes à peine audibles. Enfin, je sais que visiblement, je ne suis qu'une "sale emmerdeuse". Pourtant, au lieu de ressentir du soulagement, une vague de honte m'envahit.

Pourquoi n'ai-je rien dit ? Pourquoi n'ai-je pas eu la force de lui hurler dessus, de lui cracher au visage qu'il n'a aucun droit de me traiter ainsi ? Je ne suis encore qu'une mineure, une gamine qui ne devrait même pas avoir à affronter ce genre de situations. Le surnom qu'il m'a donné me donne envie de vomir. Comment un homme aussi répugnant peut-il me réduire à ce point, me rendre si vulnérable, si incertaine ?

Je m'en veux de mon silence, de ma passivité. Mais au fond de moi, j'essaye de me convaincre que ne pas répondre était la meilleure option. Peut-être que mon mutisme lui fera comprendre qu'importuner une femme de cette manière est inutile, que cela ne mène à rien. Pourtant, je sais bien que je tente simplement de justifier ma propre réaction, ou plutôt mon absence de réaction.

D'un pas rapide, je m'efforce d'avancer, le cœur battant encore trop fort. Chaque coup d'œil en arrière est un rappel de la menace que je sens encore peser sur moi. Si jamais il m'avait suivie, j'étais prête à faire le tour du pâté de maisons, à brouiller les pistes pour qu'il ne découvre jamais où j'habite, où Nara habite. L'idée qu'il puisse connaître notre refuge, cet espace de sécurité que nous avons construit, m'est insupportable.

Enfin, j'atteins notre bâtiment et lorsque je pousse la porte, c'est comme si tout l'air s'échappait de mes poumons. Nara est là, juste devant moi, ses yeux remplis d'inquiétude, comme si elle avait senti que quelque chose n'allait pas. Parce que ce lien qui nous lie, elle est moi, est bien plus solide qu'une simple amitié. Cette simple vision m'apaise légèrement, mais la tension reste présente, tapie dans l'ombre de ce qui vient de se passer.

— Tout va bien ? s'inquiète-t-elle.

Je hoche la tête, incapable de trouver mes mots. Le simple fait de la voir me rassure. Je referme la porte derrière moi et m'appuie contre elle, prenant une grande inspiration pour évacuer les résidus de peur et de colère.

— J'ai croisé un type hyper bizarre, lâché-je enfin, tentant de minimiser la situation pour ne pas l'inquiéter davantage.

Parce qu'après tout, croiser ce genre d'homme n'est pas bizarre. C'est même plutôt fréquent.

Nara s'approche, posant une main réconfortante sur mon épaule.

— Tu es en sécurité maintenant, Bella, murmure-t-elle doucement.

Ses mots sont apaisants, mais je sais au fond de moi que cet incident continuera à me hanter. Pourquoi est-ce que je réagis toujours de cette manière ? Pourquoi n'arrive-je pas à être plus forte, plus affirmée ? La frustration bouillonne en moi. Je dois trouver un moyen de surmonter cette peur, de me défendre. Peut-être que cela commence par me défendre verbalement, peut-être même par chanter en public, comme Nara l'a suggéré.

Si je peux surmonter une peur, je peux toutes les surmonter.

— Tu veux en parler ? me demande-t-elle en fronçant les sourcils, son regard perçant cherchant à déceler ce que je garde en moi.

— Non, ça va aller. Y a des idiots partout, rien de nouveau, dis-je en tentant de paraître détachée.

Je la dépasse pour aller déposer le reste de mes affaires sur un des tabourets de la cuisine. Le poids de ce que je viens de vivre commence à s'alléger, mais l'ombre de ce moment reste suspendue, prête à resurgir à tout moment.