Du sang couleur charbon

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Le lendemain, sans grosse surprise, la vieille gouvernante nous annonça que Sky avait été renvoyé et qu'elle allait être remplacée par une autre domestique.
Une fois que la nouvelle du départ de Sky fut répandue, la journée commença tout à fait normalement. Enfin, quand on regardait attentivement, on pouvait voir une angoisse croissante dans l'air.

La journée fut semblable à celle de la veille. Les domestiques couraient de partout avec des rideaux, des lanternes décorées et des bouquets de roses rouges.

- Mademoiselle Lyn, pouvez-vous m'aider avec les nappes ?

- J'arrive !

- Lumi, viens par là !

- Très bien !

La gouvernante me prit à part pour me parler à voix basse.

- Le jeune maître Kull te réclame...

- Comment ça ? Ça fait 12 ans que je suis à son service et jamais il ne m'a fait appeler !

- Moi-même je n'y comprends rien mais, dans tous les cas, nous ne pouvons pas discuter ses ordres. Dépêche-toi d'aller le voir !

Je me hâtais vers la chambre de mon maître après avoir fait un détour par les cuisines pour lui préparer un thé.

On ne sait jamais, après tout... s'il n'en veut pas, et bien je le jetterais et ce sera tout.

Quelques minutes plus tard, je me trouvais devant la porte imposante des appartements de mon maître. Je toquais trois fois la porte avant de demander d'une voix douce :

- Puis-je entrer ?

Une voix légèrement rauque me répondit de manière étouffée.

- Oui...

J'ouvris doucement la porte avant de lâcher mon plateau d'effroi dès que je vis l'intérieur de la pièce. La chambre était saccagée : la tapisserie était déchiquetée ; les coussins du lit et du canapé étaient éparpillés dans tous les coins de la pièce ; les rideaux étaient tirés, plongeant la pièce dans l'obscurité ; tous les tiroirs et les portes des armoires étaient ouvertes ; il y régnait une odeur épouvantable.

Heureusement ou malheureusement, j'avais une très bonne vision nocturne et je pus voir où se trouvait le maître Kull.

Il était assis sur son lit, les jambes croisées en tailleur. Ses longs cheveux noirs qui lui arrivaient au niveau des genoux étaient sales et emmêlés. Ses yeux rouges comme le sang semblaient me fixer depuis le bout de la pièce. Il ne bougeait pas et ne parlait pas.
Soudain, je remarquais ses bras : ils saignaient. De nombreuses griffures entaillaient sa chair et son sang noir coulait lentement. Une véritable vision d'horreur.

Je sortis de la chambre en courant, laissant là mon maître pour retourner dans ma chambre. J'attrapais un objet en haut de mon étagère et je me précipitais de nouveau vers les appartements du Dragon noir, des bandages et de la pommade dans les bras.

Il semblait surpris de me revoir, comme s'il pensait que j'étais partie pour ne plus revenir. Je me plaçais à côté de lui et lui attrapa le bras aussi délicatement que possible pour commencer à panser les blessures.
Quand je finis de nouer le dernier bandage, j'observais plus attentivement mon maître. S'il se décidais à s'habiller convenablement, ce serait sans aucun doute l'un des plus beaux hommes du pays.

C'est assez étrange. Quand j'ai bandé son bras, j'ai vu des écailles comme incrustées dans la chair. Et ses yeux... ils sont d'un rouge magnifique mais la pupille est fendue, comme celle d'un chat ou d'un serpent. Est-ce là son apparence d'humain-dragon ? Le maître Elv n'en a pas, lui...

Cependant, la voix de mon maître me ramena à la réalité.

- Pourquoi m'avoir soigné ? Je pensais que je te dégoûtais avec cette apparence.

- Qu'est-ce qui vous fait croire ça ? Vous étiez blessé et je ne peux tolérer que mon maître reste dans un tel état. Et puis, votre apparence n'est en rien repoussante, elle est étrange certes mais elle ne me fait pas peur.

Il me regarda confus ; la surprise était présente sur son visage. Je me redressais alors pour ramasser les débris des tasses et de la théière et les poser sur le plateau. Avant de sortir de la chambre, je me retournais pour lui sourire.

- Évitez d'enlever les bandages avant une bonne semaine si vous ne voulez pas avoir de cicatrices.

Je pris une grande inspiration avant de demander.

- Pourrais-je venir nettoyer votre chambre demain ?

- ...

Mon maître ne répondit qu'après quelques secondes de silence.

- Si tu veux... après tout, tu es ma servante attitrée.

- Merci beaucoup seigneur !

- Évite de m'appeler "seigneur" à tout bout de champ aussi.

- Comment dois-je vous appeler alors ?

- Je ne sais pas mais évite "seigneur" ou "jeune seigneur"... c'est trop étrange.

- Hmmmm... dans ce cas, puis-je vous appeler maître ? Quand je parle avec mon amie, je vous appelle comme ça. Mais ça me paraît un peu insolent...

- Non, "maître", c'est bien...

- Alors, à demain maître !

Alors que je partais, une voix douce répondit dans l'obscurité...

- À demain...

La Servante et le Dragon NoirWhere stories live. Discover now