Le Rouge de la vengeance

꧁Chapitre 1.1 : Vision ꧂

La nuit enveloppe le paisible petit village de Sonnestein. Deux chevaliers à l'armure sombre se dirigent vers l'auberge du Cerf Blanc. Les habitants observent ce cortège pour le moins étonnant, des murmures craintifs s'élèvent de la foule assemblée. Impossible pour les villageois de ne pas reconnaître l'écarlate et le noir des paladins obscurs du Royaume de Gorre. Des chevaliers qui maîtrisent les forces obscures de la magie. Des ombres. Le duo ignore le vent de panique qui souffle dans le village. Ils mettent pied à terre devant l'auberge, attachent leurs juments à l'abri puis récupèrent leurs sacoches. La salle bruyante devient silencieuse à l'entrée des chevaliers, ceux-ci se dirigent vers la table la plus à l'écart. Le premier retire son heaume, révélant de beaux cheveux mordorés rassemblés en une tresse et le visage délicat d'une jeune femme aux étranges prunelles améthystes. Le second l'imite, découvrant des boucles ébènes et les traits impassibles d'un jeune homme au regard glacial. Ce dernier est le plus âgé des deux, la première semble à peine sortie de l'adolescence. La fille de l'aubergiste, une petite brune, s'approche des deux ombres, elle serre son plateau comme si sa vie en dépendait.

"Bonsoir Mes Seigneurs. Que puis-je faire pour vous ?" demande-t-elle.

Aucun des deux ne lui jettent le moindre regard.

"Deux pains de viandes et deux chopes," commande le jeune homme. "Et nous voudrions savoir si vous avez une chambre de disponible pour ce soir. Nous partirons demain au petit jour."

La brune s'incline nerveusement.

"Je vous apporte ça tout de suite mes Seigneurs."

Elle se dirige vers le comptoir, le duo échange un regard.

"Si tout se passe comme prévu, nous devrions être à Camelot dans trois jours," lance le jeune homme.

"Si tout se passe comme prévu," répète la jeune femme.

"Pourquoi cette inquiétude Galván ?"

Elle détourne la tête vers le comptoir. Il plisse les yeux.

"Tu as vu quelque chose, n'est-ce pas ?" l'interroge-t-il.

Elle tente de répondre mais la fille de l'aubergiste revient avec un plateau chargé, elle dépose des plats devant eux, puis les boissons.

"Il y a une chambre de libre," rapporte la brune.

Elle tourne les talons sans attendre la réponse des paladins obscurs, pressée de s'en éloigner. Des regards indiscrets glissent vers eux, Galván tape du poing sur la table.

"Pourquoi ils nous regardent tous comme des bêtes de foire ?" explose la jeune femme.

Le jeune homme porte la nourriture à ses lèvres. Il ne prend la parole qu'une fois sa bouche terminée.

"Garde ton sang-froid, Galván."

Elle fait la moue mais se rassoit. Il pose sa main sur la sienne, la jeune fille sursaute et croise ses prunelles glaciales. Cela la calme.

"Ne fais pas de vagues. Nous ne pouvons que les ignorer pour le moment," la tranquillise le jeune homme.

"Que voulez-vous dire par là, Maître ?"

"Que les gens d'ici ont l'esprit étroit. Ils n'apprécient guère ce qui sort de l'ordinaire," explique-t-il.

Elle réfléchit.

"Comme des chevaliers qui maîtrisent la magie ?" suggère la jeune femme.

"C'est exact."

Elle soupire et attrape sa chope pour boire une gorgée. Il retire sa main.

"Vivement qu'on passe notre message au roi pour qu'on puisse enfin rentrer à Bade," dit-elle. "Je commence à en avoir assez de ce Royaume."

"On fera en sorte de ne pas s'attarder à Camelot," lui promet son mentor.

Lui aussi n'a aucune envie de rester trop longtemps dans les terres du roi Arthur, cependant, leur serment les oblige à rapporter la série d'attaques qu'il y a eu sur les villages isolés.

"Vous avez raison, mon don de voyance s'est activé quand nous traversions la forêt," lui apprend la jeune femme.

Elle marque une pause. Il lui prête une oreille attentive.

"Mais j'ai-"

Les prunelles violettes de la jeune femme virent au bleu nuit, la coupent dans ses propos. Elle tremble.

"Non pas encore !" gémit-elle.

Le jeune homme entrelace leurs doigts et plonge dans ses yeux.

"Tout va bien, je suis là," l'apaise son mentor.

Elle serre le poing.

"Ne résiste pas," murmure-t-il. "Tu sais bien que ce sera pire sinon."

Elle inspire longuement, expire puis ferme les yeux. Le contact rassurant avec son mentor l'aide à faire le vide dans son esprit.

"Il y a quelque chose qui se trame dans l'ombre, une vengeance. La vengeance d'une femme et le fruit de cette vengeance enfantera une succession de conflits et de guerres," prédit Galván.

Elle bat des paupières, ses prunelles reprennent leur étrange couleur améthyste. Elle regarde autour d'elle, désorientée. Les gens boivent, mangent, discutent et rient à gorge déployée sans se soucier du duo. Elle croise le regard de glace du jeune homme. Celui-ci est pensif. Elle attend patiemment qu'il dise quelque chose.

"Tes prophéties sont toujours aussi vagues. C'est embêtant. Des femmes il y en a bien trop pour deviner celle qui est concernée."

"Sûrement une femme de notre entourage ou une que nous rencontrerons très prochainement. Je ne peux voir que l'avenir de quelqu'un qui a croisé ou croisera notre route," lui apprend Galván.

Elle repousse son repas à peine entamé et pose sa joue dans sa paume.

"Cela réduit certes les possibilités mais pas assez," commente son mentor.

"J'ai le sentiment que tout deviendra clair au fur et à mesure que nous approcherons de Camelot."

"Je ne peux que m'en remettre à ton jugement."