— Tu vois, elle va bien. On a pas tué le joyau.

J'entrouvre les yeux pour observer les deux hommes qui se tiennent au milieu de la tente. Je suis sur un petit lit d'appoint. Tous deux me dévisagent avec intensité. Avec une moue dégoutée, je laisse retomber ma tête contre l'oreiller. Des pas se rapprochent.

— Tu dois manger quelque chose, petite guerrière.

La voix d'Éros est trop proche de moi. J'ouvre les yeux, en tournant la tête, je me retrouve à moins de quelques centimètres de lui. J'ai encore du mal à croire qu'il est en vie. Cette proximité me tétanise. S'il ne dit rien, je pourrais laisser mon esprit divaguer. D'une voix faible et éraillée, je chuchote la seule chose à laquelle j'arrive à penser.

— Pourquoi tu me fais ça ?

— Qu'est-ce que je te fais exactement ? demande-t-il sur le ton de la confidence.

Je me redresse lentement pour me mettre sur les coudes et ses yeux suivent les miens. J'aimerais lever la main pour toucher sa joue, mais je canalise cette envie. J'observe une demi-seconde ma main et je tique. Mon regard remonte vers ma menotte droite, il y a une fissure...

— Rien... Ça n'a aucune importance.

Le prince tourne la tête vers son compagnon.

— Ezra, va lui chercher de quoi manger.

— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée de te laisser seul avec...

— Tu insinues que je ne peux pas surveiller une prisonnière à l'agonie ?

— Euh... Non.

Il marmonne quelque chose dans ses dents que je ne comprends pas en sortant de la tente. Éros braque à nouveau son regard aussi froid que l'hiver sur moi.

— D'où est-ce que tu connais Ezra ?

Cette question me fait lever les sourcils. Je me redresse pour passer les jambes par-dessus de lit. Je reste assise face à lui. Il est toujours accroupi. Cette position doit être désagréable à force.

— Pourquoi ne lui poses-tu pas la question ? Vous avez l'air de si bien vous entendre... je ris jaune à cette remarque.

— Tu l'as rencontré au moment où tu prétends avoir vécu au camp d'entraînement ?

— Si tu veux des réponses, je ne crains pas que tu sois obligé de m'offrir quelque chose en échange.

— Et qu'est-ce que tu voudrais ?

Ses deux bras entourent mon bassin au niveau du lit. Mon traître de corps réagit à sa présence et je lui en veux d'être aussi faible.

— Tu n'es pas en mesure de me l'offrir.

— Dit toujours.

Mon regard descend vers ma dague qui est encore et toujours attachée à sa ceinture. Pourquoi la garde-t-il ? Elle ne lui est d'aucune utilité.

— Je veux ma dague et ma liberté.

Il m'offre un sourire en coin que je ne voulais surtout pas voir sur ce visage.

— Je peux m'arranger pour que ça devienne possible.

— Tu ne connais vraiment pas les plans de ton père si c'est ce que tu penses, je lâche en fronçant le nez.

— Et comment pourrais-tu les connaître mieux que moi ?

Je hausse les épaules en gardant la bouche résolument fermée. Ezra profite de ce moment pour entrer dans la tente et Éros retire vivement ses mains, il se relève et les frotte sur son pantalon. L'assassin hausse un sourcil à son attention, mais n'émet aucun commentaire. Le silence s'étend tandis que ce dernier pose le plat et le pain qu'il a ramené sur la table. Il place ses paumes vers le ciel en m'indiquant mon repas. Je serre les lèvres et me lève lentement pour me diriger vers ce repas.

— Alors la reine d'Edryae sort avec quelqu'un ?

Je fronce les sourcils en observant Ezra qui a posé sa question comme si c'était tout à fait naturel de discuter de ce genre de chose avec lui.

— Oui, bien sûr. On a même prévu de se marier au printemps... Crétin.

Le sarcasme suinte par tous mes pores.

— Roh c'est bon, c'était pour être sympa. Tu aurais pu t'en remettre.

— De quoi tu parles ? demande Éros en observant son ami.

Ezra est-il idiot au point de parler d'Éros en pensant que ce dernier n'a aucune idée de ce dont on discute ? On dirait bien. Je me tourne vers mon assiette.

— De la mort de son fiancé.

Je m'étouffe avec une bouchée de pain en entendant ces mots. Éros écarquille les yeux comme s'il venait de voir un mort.

— Ce n'était pas mon fiancé, je lâche précipitamment.

— Ouais ouais, si tu le dis.

— Tu le connaissais ? poursuit Éros.

— Bien sûr qu'il le connaît. Il lui a planté une épée dans le cœur, je lance de but en blanc.

Ezra reste bloqué dans un sourire forcé tandis que le visage d'Éros se décompose. Il baisse la tête deux secondes vers son torse et fronce les sourcils. Avec un sourire satisfait, je reprends :

— Mais en parlant de fiancée, où est la tienne, assassin ?

Il cligne plusieurs fois des paupières en fronçant le nez de temps à autre.

— Cléo a été... On va dire, quelque peu enthousiaste...

— Elle m'a manqué de respect plusieurs fois et je me suis vu contraint de la mettre au fer, annonce Éros avec sérieux.

Ezra pointe Éros du doigt en acquiesçant. Je continue d'observer Ezra. Je lui offre un regard admiratif.

— Comme elle a eu raison de nous trahir pour toi... Un véritable exemple.

— Mais tu es vraiment une belle garce, ma parole.

La femme qui a recooonnu Eros quand nous avons été attaqués entre dans la tente à son tour. Elle regarde chacun d'entre nous et se sert un verre d'eau qu'elle ingurgite d'un trait. Éros l'observe et acquiesce, ils ont une conversation silencieuse. Ça me rappelle durement qu'il m'a privé de cette faculté en me brûlant la peau. Je claque la langue de mécontentement, ce qui amuse fortement Ezra. Après quelques minutes durant lesquelles il ne se passe rien, Éros conclut :

— Léto, tu peux disposer, informes tout le monde qu'on lève le camp aux aurores.

Elle hoche la tête et repart sans avoir prononcé un mot à voix haute. Je suis à nouveau dans l'attente qu'un des deux hommes présents ouvre la bouche, mais je les surprends à réfléchir en silence.

— Est-ce que vous me faites encore le coup de la discussion par la pensée ?

— Pardon ? me demande innocemment Ezra.

— Bouffon ! Je chuchote en détournant le regard et en m'enfonçant dans ma chaise.

— Tu vois comment elle me parle ? On devrait la remettre en cellule.

— On ne va pas risquer qu'elle nous claque entre les doigts.

— Mais ma tente ?!

— Tu préférerais que ce soit celle de ton prince ?

La tête déconfite d'Ezra m'indique que c'est le cas, mais qu'il ne peut pas l'avouer devant le prince en question.

Par la suite, je suis conduite dans la fameuse tente d'Ezra. Un deuxième lit a été installé et une corde y est déjà attachée pour que je ne puisse pas m'enfuir, sans compter le nombre de soldats postés aux alentours. Dans la pénombre de la nuit, j'en profite pour tirer petit à petit sur la faille dans ma menotte. Je fais de minuscules mouvements pour ne pas être repéré, mais j'arrive avec de la détermination à l'écarter de plus en plus. Encore quelques nuits comme celle-ci et je me serais défait de ce lien qui me coupe de la magie. 


Le Joyau de Nostraria, tome 3 : la naissance d'une légendeWhere stories live. Discover now