Chapitre 11

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La nuit est claire, c'est la pleine lune. Je sors de plus en plus de nuit quand je ne trouve pas le sommeil. Fëanáro me suit à la trace sans faire un bruit. Personnellement, je ne cherche pas à rester discrète donc la neige craque sous mes pieds. J'aime sentir le léger à-coup lorsque la neige s'enfonce sous mon poids. Je me suis quelque peu enfoncée dans la forêt environnante. C'est ce que j'apprécie ici, il n'y a aucune délimitation entre les jardins ou la propriété du château, nous arrivons directement en forêt et si l'on va trop loin on tombe sur le premier village. Certains pourraient croire que ce n'est pas sécurisé, mais je ne me sens aucunement en danger ici. Des gardes quadrillent le périmètre proche et il y a des tours de guet postées aux alentours.

Après de longues minutes à marcher dans le froid, je me dis qu'il est peut-être temps de rentrer, mes doigts commencent à s'engourdir. Je retire mes gants et fais apparaître un petit feu qui illumine les arbres autour et réchauffe mes mains. Je me retourne vers mon dragon et rapproche le feu de son museau. Il l'observe en clignant lentement des yeux. Il le touche du bout du nez et se déplace rapidement pour frotter sa tête sur mon bras. Je lui souris. Je prends le chemin du château en étant la seule source lumineuse des environs.

En me rapprochant de l'édifice en pierre grise, j'éteins la flamme pour éviter d'alerter les gardes de ma présence. Je n'ai pas spécialement envie qu'il s'imagine qu'un intrus a pénétré jusqu'ici. Si j'en croise, ils me reconnaîtront directement et ne me feront même pas de remarque. Les gardes ont rapidement compris que je faisais des promenades nocturnes et qu'il valait mieux éviter de m'en empêcher ou de me suivre. Je préfère également éviter de me faire repérer par l'un de mes amis. Notamment Ayden. Il risquerait de m'expliquer que mon comportement est dangereux, surtout pour la dauphine du royaume et encore plus maintenant que je suis la seule personne capable de régenter le pays.

Mon regard est attiré par les grandes fenêtres de la salle d'entraînements. Je sais pertinemment qu'il n'y a aucun intérêt à ce que je m'en approche, mais c'est plus fort que moi. La salle est plongée dans le noir, seuls les rayons de lune éclairent l'espace, mais je le vois très nettement. Il est assis sur sa chaise face à la porte et dos à moi. Je sais que deux gardes se trouvent de l'autre côté de la porte, mais personne n'est avec lui, il est seul. Sa tête est légèrement penchée en avant dans une position qui doit être peu agréable. Il a l'air de dormir. Je me rends compte que c'est ma faute s'il dort aussi mal. Est-ce que je n'aurais pas mieux fait de laisser Ayden le mettre dans une cellule dès le début ?

Je sens la rune sur mes côtes se réveiller. J'ai envie d'aller le voir, de m'assurer que ce n'est vraiment pas l'homme que j'ai connu et de comprendre comment ce changement a eu lieu. Sans plus réfléchir, je fais un pas puis un autre et je traverse la brique et le verre qui m'empêchait de l'atteindre. Je regarde mes pieds qui ont laissé une trace enneigée sur le sol, mes bras qui sont inchangés, puis je tourne la tête vers la vitre. Je suis bien dans la salle d'entraînement alors qu'il y a deux secondes j'étais aux côtés de Fëanáro. Le dragon m'observe depuis la forêt. Je ne me pensais pas capable de traverser les murs et pourtant... Je suis encore loin du compte des prouesses que je peux effectuer.

J'observe ses cheveux blancs. Son odeur de résine et de lavande embaume la pièce. Je retire lentement mon manteau et le pose délicatement au sol. Je commande à mes pieds d'avancer, mais ils refusent de m'écouter cette fois. Je reste plantée là, dans la nuit, à observer l'arrière du crâne du prince de Nostraria. Je suis tétanisée. Des milliers de pensées parasites m'obsèdent. Et si je ne le retrouvais jamais vraiment ? Est-ce que je serais capable de vivre en sachant qu'il est vivant, mais qu'il n'est plus le même ? Est-ce que je suis capable de vivre sans lui ? J'ai essayé de m'en persuader à une époque et je me suis vite rendu compte que je me mentais à moi-même. Toutes ces questions m'empêchent de le regarder en face donc je m'assois dos au mur, entoure mes jambes de mes bras et pose la tête sur mes genoux en laissant toutes ces pensées pulluler. Mais que lui est-il arrivé pendant ces mois en Nostraria ? Une larme solitaire dévale ma joue et s'écrase au sol.

Le Joyau de Nostraria, tome 3 : la naissance d'une légendeTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon