— ... Et lorsque que nous sommes arrivés à moins de cent mètres de la tour Eiffel, Boule-de-coton s'est soulevé de dix centimètres ! raconte la femme du couple en désignant le petit chien. Il bougeait les pattes comme s'il nageait dans les airs ! Vraiment, c'était tout à fait inexplicable ! Mais le temps que je sorte mon portable pour filmer, il était redescendu.

Boule-de-coton se gratte de plus bel, peut-être traumatisé par l'expérience. Ou pas.

Maman et moi échangeons un regard surpris. Un goût désagréable s'est répandu dans ma bouche. Le portail n'a pas été ouvert, car j'ai empêché le groupe Arthur de finaliser le rituel. Je ne vois donc pas pourquoi de tels phénomènes inexplicables pourraient se passer autour de la tour Eiffel. De toute façon, s'il se passait réellement quelque chose, le Grand Conseil serait sur le coup, n'est-ce pas ?

— Vous n'êtes pas les premiers à me raconter de telles choses, répond la réceptionniste sur un ton de conspiration. L'autre jour, une touriste américaine s'est retrouvée sous une averse alors qu'elle traversait le Champ-de-Mars. Le ciel était pourtant parfaitement bleu.

Ils se mettent à frissonner tous les trois, apparemment ravis de tout ce mystère.

Maman s'avance en tirant sa valise derrière elle.

— Excusez-moi ? Pouvons-nous récupérer notre clef ? J'ai une réservation au nom de Guyonvarc'h.

La réceptionniste sursaute. Le couple s'éloigne avec le petit chien dont les griffes cliquettent sur le sol.

Notre budget ne nous a pas permis de descendre dans un hôtel très luxueux. La chambre que nous partageons est étriquée. Au moins, elle comporte deux lits aux draps qui paraissent à peu près propres. Je ne peux pas en dire autant de la moquette pleine de taches. Je n'ose pas y marcher pieds nus ni en chaussette et finis par garder mes chaussures.

Je regarde ma mère accrocher avec soin une robe dans la penderie. Pour ma part, j'ai décidé de laisser mes vêtements de ma valise. Nous ne restons après tout qu'une nuit.

Je vais me laver les mains et me débarbouiller un peu dans la minuscule salle de bain. Je retire mon pull et mon t-shirt pour enfiler quelque chose de plus confortable.

Je me tiens devant le miroir, torse-nu, scrutant mon reflet avec une grimace. Mes ailes émergent presque timidement de mon dos, brillant d'une leur rosâtre sous la lumière vive qui émane du plafonnier. Elles sont magnifiques. Magnifiques et fragiles, avec leurs fines membranes irisées. 

— Ne vous inquiétez pas, je leur chuchote. Morgane n'est pas là.

Il me semble alors qu'elles s'agitent avec plus d'assurance, ce qui est compréhensible. Ma jumelle peut être dure. Elle est même parfaitement tyrannique en ce qui concerne le domaine du vol.

Est-ce un signe de folie que de parler à ses ailes ? Peut-être bien que oui...

Quelques gouttes s'échappent du robinet. J'agite un doigt dans l'idée de les faire s'élever dans les airs. Elles ralentissent, frémissent un peu, mais s'enfoncent tout de même dans le siphon.

Je soupire. J'ai des pouvoirs, certes. Ce n'est pas pour autant qu'ils acceptent de m'obéir. Je ne sais même pas, d'ailleurs, quels types de pouvoirs j'utilise.

Pendant longtemps, j'ai cru être une fée vaguement liée à l'eau. Jusqu'à ce que je développe des pouvoirs dans plusieurs éléments en entrant au lycée, ce qui est rigoureusement impossible. Même les fées puissantes comme Maman et Morgane ne maîtrisent respectivement que les plantes et l'air, même si elles ont des petits dons dans d'autres éléments, à force d'entraînement. Avec du recul, je sais maintenant que j'utilisais certainement des capacités héritées de mon géniteur.

Comment distingue-t-on d'ailleurs les pouvoirs des fées et des magiciens ? Je n'en ai pas la moindre idée. Les fées sont liées à la nature et aux éléments. De ce que je sais, la magie coule naturellement dans leurs veines. Dans nos veines, puisque j'en suis une, moi aussi. Mes ailes sont là pour le prouver.

— Oui, je suis une vraie fée, je déclare à mon reflet. Et un magicien en devenir.

Je replie mes ailes et me rhabille.

Maman s'est allongée sur son lit et lit un roman à la couverture rose en fredonnant. Elle raffole des comédies romantiques légères tandis que je suis davantage passionné par la fantasy, même si les fées sont généralement malmenées dans ce genre de littérature.

Je sors de ma valise La magie pour les nuls que je pose sur ma table de nuit dans la vague intention de le feuilleter un peu pour me déstresser. Mais je ne parviens pas à me convaincre de l'ouvrir, trop fébrile pour me concentrer sur une quelconque lecture. Je ne parviens pas à oublier que mon audition a désormais lieu dans quelques heures.

Ma gorge se noue.

— Maman, je marmonne. Tu ne m'en veux pas trop ?

Ma mère tourne des yeux étonnés vers moi, son bouquin entre les mains.

— T'en vouloir ? Pour quoi ?

Je tords mes doigts.

— Pour ce que j'ai fait sur la tour Eiffel...

Elle me sourit avec douceur.

— Mais non mon petit chéri ! Je ne pourrais jamais t'en vouloir. Sauf si tu te mettais à assassiner toutes sortes de gens innocents, je suppose. Et encore. Même dans ce cas-là, je ne pourrais m'empêcher de t'aimer.

Elle vient s'asseoir sur le lit à côté de moi et pose sa main sur ma joue.

— Je n'ai pas envie d'assassiner des gens innocents, je lui assure.

Elle glousse.

— Me voilà rassurée. Et toi, Vivien d'amour, comment te sens-tu par rapport à tous les derniers événements ? Tu n'es pas trop choqué d'avoir découvert qui était ton géniteur ? Ta sœur a l'air de l'être. Nous pouvons en parler, si tu veux.

Je la regarde avec de grands yeux. Pour être honnête, je n'ai pas la moindre idée de ce que je ressens. Un peu de gêne, sans doute. Mais, d'un autre côté, M. Marlin est un magicien, ce qui est plus cool que s'il était banquier, par exemple. Même s'il existe certainement des banquiers cools. Cela dit, est-ce pour autant que j'ai envie de le fréquenter à d'autres occasions que pendant les cours ?

J'ouvre la bouche, n'ayant pas la moindre idée de ce que je vais répondre, lorsque je suis interrompu par trois coups frappés à la porte.

Maman se lève d'un bond.

— Ça doit être Armand !

Et elle se précipite pour aller ouvrir à M. Marlin. 

Le lycée des Surnaturels (tome 2)Where stories live. Discover now