Au moins, le repas est bon. Je déguste une délicieuse tourte aux poireaux en essayant de ne pas faire attention à mes cousines qui chuchotent de plus en plus fort.

—... Un loup-garou ! sont-elles en train de dire d'un ton scandalisé.

Je ne peux même pas m'éloigner, car la salle à manger est minuscule. Ça allait encore, quand j'étais petit et que mes petites sœurs et cousines plus jeunes n'étaient pas encore nées. Maintenant que nous sommes aussi nombreux, l'air est presque irrespirable.

Nous passons au dessert : une bûche aux châtaignes maison qui est la spécialité culinaire de ma grande tante Rosalie et un gros kouign-amann réalisé par Grand-mère qui est douée en cuisine. Peut-être est-ce d'ailleurs là sa seule qualité, à bien y réfléchir.

— Les cadeaux ! Les cadeaux ! clament Mélusine et les autres petites de son âge dès que les assiettes sont vides. Naguère, Morgane et moi nous joignions aussi à cette excitation. Mais plus maintenant. Nous sommes devenus trop grands, comme si nous avions déjà un pied dans le monde des adultes.

Nous retournons nous entasser dans le salon. Je m'assieds sur un canapé défoncé, entre Maman, Oriande et Mélusine. Morgane se pose sur un pouf. Grand-mère trône dans son immense fauteuil jaune. Mes cousines se partagent une série de tabourets.

Mélusine, maintenant qu'elle sait lire les noms sur les paquets, est chargée de faire la distribution des cadeaux.

Je suis presque surpris de voir une pile devant moi. Je m'étais plus ou moins imaginé que je n'aurais rien, comme tout le monde me déteste, maintenant.

J'ouvre le premier cadeau, le plus petit. C'est un porte-clefs avec un loup en bois accroché au bout.

— C'est moi qui te l'ai sculpté, m'explique Maman avec un sourire. C'est un talisman de chance. Je me suis dit que la forme te plairait.

Ma gorge se noue.

— Merci Maman.

Il est vrai que j'ai bien besoin de chance, en ce moment. Et je suis content de voir que ma mère ne désapprouve pas ma relation avec Auguste. Je suppose que c'est ce qu'elle veut me faire comprendre, en m'offrant un loup.

J'ouvre mon deuxième paquet pendant que Mélusine s'extasie devant la peluche licorne rose que je lui ai offerte (oui, ce n'était pas un dictionnaire). Je découvre que j'ai reçu un bouquin assez gros. Le livre porte une couverture jaune et s'intitule : La magie pour les nuls. Son auteur est une certaine Muriel Toulemonde. Bizarre comme nom. C'est peut-être un pseudonyme. Je n'ai jamais entendu parler d'elle. Il est vrai cependant que je connais très peu de magiciens, à part M. Marlin et cet abominable Hector. Et moi. Et potentiellement Morgane, si accepte un jour de se faire tester.

— Pour que tu puisses au moins maîtriser un tant soit peu tes pouvoirs, m'explique Grand-mère sans se dérider.

Je reste neutre, ne sachant très bien comment je suis censé réagir. Souhaite-t-elle m'aider ou m'insulter ?  Les deux, peut-être ? 

— Merci Grand-mère.

Et je passe au cadeau suivant, lui aussi de forme rectangulaire. L'étiquette m'indique qu'il m'est offert par ma jumelle. C'est un carnet à dessin ! La couverture est magnifique. Il est évident que Morgane l'a acheté avant, à l'époque où elle n'avait pas pris la résolution de me faire la tête à vie.

Je lève la tête vers ma jumelle, encore plus incertain que pour Grand-mère.

— Merci Morgane, je souffle très vite.

Elle reste de marbre, comme si elle ne m'avait pas entendu. Elle est également occupée à ouvrir ses présents et déballe à présent une boîte en carton.

— C'est le cadeau de ma part, j'observe timidement.

Morgane l'ouvre sans un mot et en sort les nouvelles lunettes de vol que je lui ai achetées. Comme je ne trouvais pas d'idées dans les boutiques parisiennes, je suis allée sur un site internet secret tenu par une fée qui vend des petits artefacts. D'après l'annonce, le verre de ces lunettes est enchanté pour ne jamais se recouvrir de buée ou de saleté.

Ma jumelle remet soigneusement les lunettes dans leur étui, sans me remercier ni même me regarder. Enfin, au moins, elle ne me les a pas jetées à la figure.

Les petites se sont rassemblées dans un coin pour tester les jouets qu'elles ont reçus, sauf Oriande qui s'est endormie dans les bras de Maman.

Grand-mère se lève pour aller sortir une flasque d'alcool d'ortie, une spécialité féerique. Elle en distribue aux adultes dans des petits verres. Morgane et moi devons nous contenter d'une tisane.

Bientôt, les joues de Grand-mère se colorent de route et elle commence à s'échauffer.

— Peut-être est-ce là le dernier Noël que nous passons en paix, clame-t-elle. Après les actions de celui-ci, qui sait si nous parviendrons toujours à rester cachées des humains !

Agacé et en même temps plein de mauvaise conscience, je bois une gorgée de ma tisane. Elle est trop chaude et me brûle la langue.

Morgane me surprend en prenant soudain la parole.

— Et en quoi ça serait forcément mal, que les humains prennent conscience de notre existence ?

Grand-mère cligne des yeux, surprise de voir sa petite fille préférée la contredire.

— Eh bien, répond-t-elle lentement. Nous ne pouvons pas laisser une telle situation se produire ?

— Et pourquoi pas ? insiste ma jumelle. Au moins, cela nous permettrait de dévoiler nos ailes quand nous le souhaitons.

Grand-mère agite un doigt dans sa direction.

— Ne raconte donc pas n'importe quoi. Cela ne peut arriver.

Ma jumelle secoue la tête.

— Alors nous devons rester cachées, à réprimer notre nature alors que les humains vivent comme ils l'entendent au grand jour ?

Grand-mère fronce les sourcils.

— Réfléchis un peu, jeune fille. Tu crois vraiment que les humains nous laisseraient vivre librement s'ils avaient connaissance de notre existence ? Au mieux, ils chercheraient à nous contrôler. Au pire, ils nous élimineraient.

Une fois n'est pas coutume, je suis plutôt d'accord avec Grand-mère. Mais il est hors de question que je l'approuve à voix haute. En plus, l'intervention de ma jumelle détourne de moi la colère générale.

Je ne sais même pas si elle a fait cela pour m'aider et détourner sur elle une partie de la colère générale ou si elle est réellement convaincue par ce qu'elle avance. Après tout, elle a aidé le groupe Arthur à comprendre de quelle façon fonctionnait la tour Eiffel.

Grand-mère finit par se tourner vers Maman.

— Tu devrais revoir l'éducation de tes enfants, Gwendoline.

Maman lui répond par un sourire.

— Mes enfants sont parfaits tels qu'ils sont.

— Non ! l'approuve Oriande d'une petite voix endormie. 

Le lycée des Surnaturels (tome 2)Where stories live. Discover now