Je jette un dernier regard à notre maisonnette, regrettant de ne pas avoir pu y passer plus de temps. Je n'ai pas la moindre hâte d'arriver chez Grand-mère, ni de retourner au lycée pour affronter mes camarades.

Notre voiture est une citadine à la carrosserie jaune poussin que Maman a acheté d'occasion. Son prix était tout à fait abordable, car personne ne voulait acheter un véhicule de cette couleur.

J'installe Oriande dans son siège pour bébé. Elle me remercie par un sourire et par un "non" tout mignon.

Maman prend place devant le volant avec une petite moue contrariée. Elle n'aime pas beaucoup conduire et délègue généralement cette tâche à son Envoûté. Mais elle n'en a pas en ce moment et, de toute façon, il n'aurait pas été admis dans la forêt de Paimpont où se trouve un village traditionnel de fées interdit aux humains.

Morgane s'installe d'autorité à côté de Maman, me reléguant à l'arrière à côté des petites. On se bat toujours pour être devant. Ma jumelle parce qu'elle n'aime pas être prise pour un enfant et moi parce que j'ai le mal des transports.

Maman finit d'ajuster les rétroviseurs et nous lance :

— Tout le monde est bien attaché ?

Elle tourne la clef de contact après avoir entendu nos réponses positives (ou négative, dans le cas d'Oriande).

Le crépuscule enveloppe Saint-Malo. Seules les lumières des lampadaires et des maisons percent la pénombre grandissante. Le phare de la ville clignote à l'horizon. La voiture tressaute en s'engageant sur les pavés. Ici, pas la moindre trace de la neige qui s'était abattue sur Paris juste avant les vacances. Il fait juste vaguement frais et une petite bruine tombe du ciel, comme d'habitude.

Mélusine se tourne vers moi alors que nous venons de quitter la ville.

— Dis Vivi, est-ce que tu vas devoir porter une veste jaune, maintenant que tu es un magicien ?

Je cligne des yeux, surpris. Pour être honnête, je n'avais pas du tout pensé à ça.

— Je reste quand même aussi une fée, je réponds.

Maman me sourit dans le rétroviseur.

— Tu pourrais peut-être demander une veste bicolore ? Ça te donnerait un certain style.

Je roule des yeux.

— Un style de clown, oui.

Je crois que je préfère garder ma veste verte. Je ne veux pas ressembler à ce sale type d'Hector.

Mon téléphone vibre. C'est Auguste qui m'envoie une photographie. Oh, c'est un selfie pris sous sa forme de loup ! Ne me demandez pas comment il s'y est pris pour appuyer sur le déclencheur, car je n'en ai aucune idée. En tous cas, il est adorable. On voit se museau en gros plan, avec sa queue qui s'agite par derrière. Sur ce cliché, il ne paraît pas particulièrement féroce, bien au contraire. On a envie de se jeter sur lui pour le caresser.

Mélu essaie de regarder mon écran.

— Pourquoi tu fais ce sourire idiot, Vivi ? C'est ton loup qui t'écrit ?

Je cache mon téléphone en lui jetant un regard lui signifiant de se mêler de ce qui la regarde. Cette photo est privée.

La petite peste se met à ricaner.

— Maman ! Maman ! Le petit ami de Vivien lui envoie des nudes !

Je sursaute.

— N'importe quoi !

D'accord, techniquement Auguste est nu sur cette photo. Mais c'est normal pour un loup !

— Allons Mélusine, répond Maman. Laisse ton frère tranquille.

Je m'enfonce dans le dossier de la banquette en grognant. Il n'y a que moi qui m'inquiète du fait que ma petite sœur en CP sache que ce sont des nudes ? Moi, quand j'avais son âge, je jouais aux billes avec mes petits camarades. Il faut croire que je suis en train de devenir vieux.

Faisons abstraction de cela, je réponds à Auguste par un émoji avec des yeux en forme de cœur. Il en envoie aussitôt 10 autres.

Le paysage évolue peu à peu. Au bord de mer succèdent des champs sombres ponctués de quelques fermes endormies. Je me colle le front contre la fenêtre pour essayer de calmer ma nausée. Malheureusement, l'obscurité ne me permet pas de voir grand chose.

— M. Marlin propose de tester ta magie à toi aussi, Morgane, dit Maman après une vingtaine de minutes de silence. Tu pourrais avoir les mêmes pouvoirs de magicienne que Vivien.

Je vois les épaules de ma jumelle se crisper.

— Non merci.

— Tu devrais le faire, chérie, insiste Maman. Ce serait plus prudent. Regarde les soucis que cela a causés à ton frère.

J'aurais préféré être laissé en dehors de cette histoire.

— Non merci.

— M. Marlin est très compétent pour cela. Ce test ne sera pas douloureux.

Morgane la foudroie du regard.

— Ce n'est pas pour cela que je ne veux pas !

Notre mère paraît perdue.

— Alors pourquoi ?

— Parce que.

Et ma sœur enfonce ses écouteurs dans ses oreilles, signifiant par là la fin de la discussion. Bien sûr, Maman ne s'en rend même pas compte et continue à déblatérer toute seule. Elle n'a jamais très bien compris le caractère de Morgane. À l'instant présent, il est inutile d'insister, je peux vous l'assurer. À la limite, Maman aurait obtenu de meilleurs résultats en interdisant à ma jumelle de se faire tester. Elle s'en serait indignée et aurait fini par le passer.

Je suis juste derrière Morgane, à quelques centimètres d'elle. Je pourrais lui tirer ses cheveux rassemblés en une queue de cheval. Et, pourtant, c'est comme si nous étions séparés par tout un continent.

Je sais que j'aurais dû lui parler de mes ailes. Et des mes nouveaux pouvoirs. De la maladie dont je croyais être atteint. Et, finalement, encore de beaucoup d'autres choses. Je voulais réellement le faire ! Mais Morgane n'a pas non plus un caractère qui incite à la confidence. On croit souvent à tort que les jumeaux sont nécessairement des êtres fusionnels. Ce n'est pas notre cas à nous. Pas pour tout, du moins.

Je me crispe un peu plus lorsque Paimpont est finalement indiqué sur un panneau de circulation. La voiture ralentit en pénétrant dans le village. Ses phares illuminent l'ancien pont. Contournant les habitations humaines, Maman se dirige droit vers la forêt. Rapidement, nous arrivons dans la zone protégée par la magie, un espace réservé, plus ou moins intact de la pollution humaine. Ici, les fées peuvent vivre en paix et dévoiler leurs ailes au grand jour. Le secret de leur existence a été préservé pendant des millénaires. Jusqu'à ce que je fasse le guignol au sommet d'un monument mondialement connu. J'ai attiré des ennuis à tous mes proches. Qui sait jusqu'où cette histoire va aller ? Les humains réagissent généralement avec agressivité lorsqu'ils tombent sur quelque chose qu'ils ne connaissent pas.

Peut-être aurait-il mieux fallu que j'explose, finalement... 

Le lycée des Surnaturels (tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant