Chapitre 50 - Remuer ciel et terre

Depuis le début
                                    

Un grognement furieux attire mon attention. Kalen se bat pour me rejoindre, envoyant impitoyablement valser tous ceux qui se mettent sur son chemin. Sayan lui prête mainforte, d'une manière plus maladroite, mais tout aussi déterminée.

— Kalen, retiens ta fougue et celle de ton Scinas, ou je m'arrange pour que tu assistes à la lente agonie de ton humaine !

Il s'immobilise à contrecœur, et quatre gardes lui tombent dessus pour le rouer de coups. Sayan tente d'intervenir, mais un coup de poignard lui entaille l'abdomen. Il tombe au sol en grimaçant.

— Gatien, supplié-je en regardant mon ex. Je t'en prie...

Ses mains tremblantes se resserrent davantage sur le pistolet.

— Lily, marmonne-t-il. Je suis désolé pour tout.

Il prend une grande inspiration. Je ferme les yeux. Les trois détonations qui suivent me rendent presque sourde. Houlm me lâche, et je retombe brusquement face contre terre, immobilisée par le poids de son corps s'écrasant sur le mien. Mais à part mon nez qui me lance et ma précédente blessure au front, je ne ressens aucune douleur. Aucun tir ne m'a atteint. Je me dégage tant bien que mal et bats des paupières dans l'incompréhension la plus totale. Gatien se tient toujours devant moi, mais son corps a pivoté à gauche. Sa bouche est déformée par un rictus mêlant douleur et satisfaction. Il fait face à un corps étendu au sol dans une mare de sang : celui du Consul, celui de mon père. Je finis de pousser Houlm et me retourne vers Gatien. Il me regarde, à présent. Je cherche quelque chose à lui dire, mais rien ne vient. Soudain, son corps se raidit. Il tombe comme une pierre et se met à convulser. Je me dirige vers lui, mais très rapidement, il s'immobilise. Du sang parsème ses commissures des lèvres : il a dû se mordre la langue. Sans surprise, son pouls est introuvable. Dois-je tenter de le réanimer ? Gatien a tué le Grand Consul, il mériterait que j'essaye. Alors je me redresse sur les genoux, et entame le massage. Autour de nous, c'est la stupéfaction. Les soldats de la première garde s'agenouillent, têtes baissées. Même ceux qui gravitaient autour de l'arme noire. Personne ne vient m'aider. Ils ont perdu leur chef, et comme je l'espérais, leur allégeance est telle que sans Consul, plus de guerre. Le sort de Gatien les indiffère. Ils se rendent, purement et simplement. Je suis épuisée émotionnellement. Une soldate de Lee finit par me rejoindre. Elle pose une main sur mon épaule et me fait clairement comprendre que ma manœuvre ne servira à rien. Je recule sur les fesses, puis m'arrête pour reprendre conscience de ce qui m'entoure.

Kiodo se met à crier des ordres à tout va, le maréchal s'agite, les soldats de Lee lâchent leurs armes. Je devrai sauter au plafond, faire une danse de la victoire. Mais mon regard fait des aller-retour entre Mei, toujours inanimée au sol avec une Sam affaiblie à ses côtés, Sayan, agenouillé, les mains plaquées sur son torse ensanglanté et Kalen qui tente de se relever péniblement, le visage tuméfié. Sans oublier le corps de mon père, à moins de deux mètres de moi. C'est vers ce dernier que je décide de ramper. Gatien l'a touché à la carotide, et à la poitrine. La troisième balle a atteint Houlm en pleine tête. Étant donné l'importance des tremblements de mon ancien compagnon, je suis étonnée de la précision de ses tirs. Il m'a sauvé la vie.

Je ferme les yeux de mon père et saisis sa main inerte.

— Pardonne-moi, papa. Pardonne-moi. J'aurais aimé pouvoir te parler une dernière fois, sentir tes bras m'enlacer et t'entendre fredonner une chanson en vieux français. Je veillerai à ce que maman soit bien entourée, je te le jure.

Mon corps est secoué de sanglots. Je ne perçois la présence de Kalen que lorsqu'il pose sa main sur mon bras. Je relève enfin la tête. Son beau visage fait peine à voir. J'effleure une profonde entaille à l'arcade du bout de mes doigts. Kalen frémit, mais ne recule pas. Au contraire, il ferme les yeux. Je savoure cet instant quelques secondes, puis cherche ma meilleure amie dans la salle.

— Mei..., soufflé-je en ne la voyant plus. Sayan ?

Paniquée, je bondis sur mes pieds. Kalen m'imite et me retient par les épaules.

— La blessure de Sayan est assez profonde, mais il s'en sortira. Il est en ce moment même en route pour Cassy-7 où il sera soigné auprès de mon frère. Les rebelles suivent de près, certains sont dans un état grave. L'évacuation sera un peu longue, espérons qu'ils tiennent tous.

Kalen marque un arrêt. Mon niveau de stress monte en flèche. Où est ma meilleure amie ? Les mains de mon chéri viennent se poser sur le creux de mes reins. Après une bonne inspiration, il reprend la parole.

— Chaton, Mei est en état de détresse respiratoire. Son cœur menace de lâcher et son cerveau n'est plus convenablement irrigué.

— Non...

— Elle est transportée en urgence dans un des flasters de Cassy-1 par manque de temps, mais les occupants risquent de s'opposer, nous ne savons pas encore leur état d'esprit. Un détachement assure sa sécurité, et Sam l'accompagne. Mais sa survie est incertaine. Varely se charge de prendre le contrôle des messages d'alertes pour annoncer la mort du Grand Consul. Espérons que cela suffise à contenir la première garde et ses armées, le temps que nous préparions la dépouille de leur chef pour la présenter aux yeux de tous.

— C'est le corps de mon père.

— Je sais.

— Je refuse qu'il soit exposé sans l'accord de ma mère. Et je tiens à ce qu'elle soit la première à le voir.

— Je ne sais pas...

— Je t'en supplie, le prié-je en glissant mes mains sur sa nuque. Dis-moi que tu peux faire ça pour moi.

— Je te promets que je remuerai ciel et terre pour toi, mon amour.

Et je le crois. Je cale ma tête sur son torse, car c'est la seule chose capable de m'empêcher de perdre la raison. À une dizaine de mètres de nous, le Maréchal Silva soutient fermement Malyan par la taille. La rebelle boite fortement et son haut est imbibé de sang, pourtant, je vois un sourire illuminer son visage alors qu'elle le dévore du regard. 

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant