Chapitre 46 - La rançon de la gloire

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Le selcyn s'adresse à moi, le visage fermé et les sourcils froncés. Je vois le problème. Je lui fais signe de me filer son oreillette, ce qu'il refuse. Je m'apprête à protester, mais le beau black sort un autre écouteur d'un tiroir, le tripote quelques secondes et me le tend.

— Lily, ne t'en mêle pas, me supplie ma mère.

— Tu vois bien que la communication est compliquée, maman. Déjà que je ne suis pas en train de m'occuper des blessés, laisse-moi au moins me rendre utile ici.

Le visage de ma mère devient livide, et je regrette la froideur de mon ton. Je réglerai ça plus tard.

— Bonjour, ici le docteur Lyna Ferrat, anciennement en poste à Faraday-4.

— Ici le colonel Kalidjatou Amada. Je vous écoute Docteur Ferrat. J'espère que vous avez plus d'humour que le type qui vous a précédé.

— Je ne pense pas que le moment soit opportun pour faire de l'esprit, colonel. Le type qui m'a précédé vous a fait part d'une manœuvre stratégique qui pourrait nous permettre de pénétrer dans le vaisseau ennemi. Avouez que c'est plutôt une bonne idée si on veut parvenir à détruire l'arme noire qui menace notre planète, ne croyez-vous pas ?

— Ok, je comprends pourquoi vous êtes amie avec les extraterrestres, vous êtes aussi rabat-joie qu'eux.

— Si vous parvenez à nous dégager l'entrée avec vos bombes, colonel, je serai ravie de vous montrer à quel point mon humour peut être aiguisé, lors de notre prochaine conversation.

— Petite futée. Eh bien, je crois que j'ai repéré cette fameuse porte. Nous sommes encore loin, mais je doute que nous puissions approcher. Ça tire à vue là-bas. Combien y a-t-il de vaisseaux de combat ? On ne voit presque plus le soleil !

— Nous allons donner l'ordre à nos Borls d'évacuer la zone, intervient Damin T avec des chiffres. Ça devrait vous laisser une ouverture.

— C'est une mission suicide, mon p'tit père ! On coupe la poire en deux. J'envoie la moitié de mes hélicos là où tu me demandes, l'autre moitié reste en appui au cas où.

— Je n'ai pas de poire sous la main, et je ne vois pas en quoi cela pourrait nous aider.

— Il ne comprend rien ce type ! s'exclame la voix dans mon oreillette d'un ton amusé. On doit vraiment collaborer avec ces énergumènes ?

Ok. Le colonel Amada est complètement cinglé, et Damin ne fait pas vraiment d'effort non plus. J'inspire profondément en me tenant la base du nez.

— La moitié des hélicos à l'avant de la porte, et les autres en retrait, répété-je, blasée.

— On s'en contentera, fait le selcyn avant de me reprendre l'oreillette.

— Vous avez des nouvelles de Kalen ?

— Nous avons plusieurs dizaines de milliers de combattants engagés sur le terrain en ce moment même, me dit-il d'un ton calme, bien que légèrement agacé. Et je ne parle pas des réservistes qui patientent dans les vaisseaux. Comment voulez-vous que je repère un individu dans cette masse en perpétuel mouvement ? Cassy-8 est tombé, les blessés vont affluer, vous devriez vous rendre utile dans les hangars.

Je ravale quelques jurons avant de me diriger vers Varely pour le féliciter. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il a la victoire modeste. Il hoche la tête, faisant tanguer les lanières de son bandage. Il croit bon de me rappeler d'une voix grave que notre temps est surement compté. J'ai eu ma dose de selcyns taciturnes. Je pose une main amicale sur son épaule avant de saisir le bras de ma mère. Nous sortons avec empressement de la zone de pilotage et de contrôle. J'ai très envie de rejoindre Mei et Sayan, comme me l'a suggéré Damin. Mais ma mère n'en peut plus, je le vois bien. Nous passons à grandes enjambées devant une des salles de sport, direction les colonnes de sorties. J'ai du mal à ravaler ma contrariété. Si j'étais aux hangars, je serais en première ligne pour voir arriver Kalen, s'il se blessait. Et je pourrais avoir des nouvelles par l'intermédiaire de ses compagnons déchus. Ce conflit me donne mal à la tête. Au détour d'un couloir, je me sens fermement tirée en arrière, ce qui interrompt brutalement mon avancée rapide. Je me tourne vers ma mère. Elle se tient debout au milieu du couloir. Je remarque alors ses épaules voûtées, ses joues creusées, ses yeux brillants de désespoir quand elle relâche mon bras. Mais il y a autre chose, un sentiment nouveau qui s'immisce dans le regard qu'elle pose sur moi. Elle m'a tendu une perche en me rejoignant sur Cassy-7, elle attend à présent que je la saisisse.

— Maman...

J'aimerais lui dire que je souhaite l'accompagner auprès de sa communauté, rencontrer son chef, en apprendre plus sur les personnes qui l'ont soutenue et accompagnée jusqu'ici. Mais la vérité, c'est que je n'y tiens pas. Du moins pas maintenant. Ma place est auprès de ces agaçants selcyns qui m'ont adoptée et que j'ai fini par apprivoiser, partiellement. Et je sens alors qu'un gouffre profond nous sépare, ma mère et moi. Je soupire.

— Va soigner les blessés, bégaie-t-elle. Tu es médecin, Lyna. Nous avons sacrifié notre vie de famille pour que tu y parviennes. Alors, je suppose qu'il serait paradoxal de ma part de t'empêcher d'aller faire ta part.

— Maman...

Toujours rien. Mon cœur s'est serré en l'entendant prononcer mon prénom dans son intégralité. Je pense un instant lui proposer, pour la forme, de m'accompagner. Mais pourquoi faire semblant ?

— Les colonnes de sortie sont juste là, à droite après ce couloir. Tu trouveras une femme selcyne qui t'expliquera la procédure, murmuré-je.

— D'accord.

— Je te tiendrai au courant si j'ai des nouvelles pour papa.

— Je n'en doute pas. Prends soin de toi, ma fille, tu as l'air épuisée. J'espère... j'espère sincèrement que Kalen te reviendra.

— Merci, maman, prends soin de toi aussi. On se revoit très vite.

— Bien sûr.

Je la regarde s'éloigner d'un pas mal assuré. La boule de culpabilité qui m'étouffe depuis hier prend des proportions inégalées. Mais sitôt que ma mère disparaît de mon champ de vision, je cours en direction des hangars à une vitesse trop élevée pour une simple humaine. Ma mère a-t-elle remarqué que mon corps avait changé ? J'en doute, mais c'est un fait. Je ne suis plus la même que celle qu'elle a laissé partir pour la Grande Asie, ni psychologiquement ni physiquement. 

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant