Chapitre 45 - Passer la seconde

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Mei et Sayan me rejoignent peu de temps après le départ du dernier vaisseau. Nous parlons, mais j'avoue être passée en pilote automatique, je n'ai pas vraiment conscience de ce que j'entends, ni même de ce que je réponds. La faute à un trop-plein d'émotions et à ma nuit blanche. Malheureusement, les premiers rapatriements de blessés ne tardent pas à arriver, et nous nous levons comme un seul homme pour nous rendre aux hangars. Mais le grand blond m'arrête.

— Non, pas toi, Lily. Va profiter de ta génitrice. Apparemment, c'est bon pour ton équilibre psychologique.

— C'est Kalen qui a dit ça ? m'étonné-je.

— Quelque chose dans ce style, oui.

— Vous êtes sûrs que ça ira ?

— Au milieu de tous ces savants fous, on fait seulement office d'assistantes, se moque Mei.

— Je peux opérer en urgence si les flasters sont tous occupés...

— Nous aussi, me répond Sayan. Du moins certains d'entre nous.

Je me sens terriblement coupable et inutile, loin des combats et évincée de l'hôpital de fortune. Mais je dois reconnaître que j'ai très envie de retrouver ma mère. Alors je ravale ma fierté et laisse mes deux amis s'éloigner. Au dernier moment, Mei se retourne et m'avertit d'un ton autoritaire qu'elle compte rencontrer madame Ferrat avant la nuit. J'acquiesce en souriant. Elle n'est déjà plus là. Je jette un dernier regard aux hackers selcyns et me dirige à mon tour vers la sortie, les yeux baissés.

Au moment de passer l'ouverture, je heurte un truc dur et bascule en arrière. Une main me retient in extremis. C'est Sayan.

— Que fais-tu encore là ? Tu as changé d'avis ? Tu as besoin de moi ?

— Non, je t'apporte quelque chose qui t'appartient, me répond-il avec un début de sourire.

Il se pousse et ma mère apparait derrière lui, manifestement terrorisée. Je n'arrive pas à y croire, elle a vaincu sa peur pour me rejoindre. Je la serre fort dans mes bras, et peu à peu, je la sens se détendre. Quand nous nous séparons, Sayan a de nouveau disparu. Je n'ai pas eu le temps de le présenter.

— Maman ! Tu es venue ! Merci d'avoir fait cet effort.

— Je le fais pour toi, ma perle. J'ai beaucoup réfléchi à notre conversation de la veille, et je souhaite faire un effort pour accepter Kalen. D'ailleurs, où est-il ?

Mon ventre fait un looping. Je dois blêmir, car ma mère attrape mon bras, l'air désolé pour moi. Au même moment, une soudaine agitation s'empare des chargés de communication. Affolée, je me dirige vers eux. Mon regard est capté par le mini Cassy qui apparait sur l'écran. Tous ces vaisseaux se ressemblent énormément et les quelques différences sont dans des détails. J'avoue que je ne les reconnais pas vraiment, mais celui-ci, dans un ton légèrement plus clair que les autres, avec ses moteurs plus en arrière, c'est...

— Cassy-3.

Les trois premiers selcyns s'immobilisent pour me fixer. Je continue :

— Nous l'avons laissé à Brasilia. Aux dernières nouvelles, il était réquisitionné par les officiers de Faraday-51.

— Kalen F3-548 a donné les accès au Temen à la tête d'une base d'Amérinord, me répond un grand black deux fois plus large que moi. Il s'est emparé du vaisseau pour nous rejoindre avec ses Borls et Scinas volontaires. Leur aide sera plus que bienvenue.

— Cassy-3 transportent également un contingent d'humains, enfin de terriens. Des individus venant aussi bien d'Amérinord que d'Amérisud, qui ont répondu à l'appel de leur... l'équivalent de leur consul.

— Le président Whiteman, corrigé-je, stupéfaite par ce soutien inattendu.

— Président, oui c'est ça.

— Ils ont des robots de guerre avec eux, précise un autre selcyn. C'est surement mieux comme ça, je doute qu'ils soient de taille à piloter nos œufs avec leurs réflexes quasi inexistants.

Je ne relève pas la dernière remarque, contrairement à ma mère qui masque avec peine une moue indignée. J'ignorais que Kalen avait laissé les accès de Cassy-3 à un de ses collègues, et je me sens vexée qu'il ne m'ait pas tenu au courant. Il faut dire que je n'ai assisté qu'à peu de ses réunions, et j'imagine que la quantité d'informations débattues devait le dissuader d'en remettre une couche avec moi le soir. Le plus important, c'est l'arrivée d'une nouvelle escouade mixte. Whiteman a fait du bon boulot, pour un type que je croyais mort. En fait il n'a cessé de retisser les réseaux de communication, restant volontairement dans l'ombre en attendant le bon moment pour faire un retour fracassant. Voilà un homme qui sait ménager ses effets.

Je montre à ma mère les images de surveillance et l'informe que c'est le vaisseau qui m'a emmenée loin d'Hanoï, celui de Kalen. Je lui explique alors longuement les spécificités des vaisseaux selcyns, à commencer par la présence des flasters, jusqu'aux salles de sport très fréquentées, en passant par les toilettes de l'espace. Je décris avec un dégoût non feint les subtilités de la gastronomie selcyne : les redoutables gjustres. Elle écoute avec attention en posant quelques questions de temps à autre. Je ne suis pas dupe, je vois bien que son intérêt est encore un peu forcé, mais elle garde son sourire chaleureux et sa voix douce. Ça me suffit pour l'instant, j'ai tellement rêvé de la retrouver.

De temps à autre, son regard se perd vers les écrans de contrôle qui alternent différentes vues de l'immense zone de combat. Pour ma part, j'essaye de ne pas m'y attarder. Mais quand le silence retombe entre nous, la tentation est trop grande. Les images sont cauchemardesques. Un vaisseau allié est pris pour cible, et des flammes destructrices dansent sur sa carrosserie noire. Il va subir le même sort que Cassy-17... Et dire que Kalen est là-bas, au milieu des échanges de tirs. Peut-être même que son œuf s'est à nouveau crashé. Je ne vois que ça, des suppos dorés qui tombent comme des mouches, sans savoir à quel camp ils appartiennent. Je n'ose pas déranger les contrôleurs ni Varely qui de toute façon est toujours penché sur son problème de piratage informatique. Je pousse un long soupir en me massant les tempes. Je dois quitter cette pièce sous peine de devenir folle.

— Tu as une mine affreuse, Lily jolie. Tu dors bien ? Tu manges à ta faim ?

— Je vais bien, maman. Je suis juste inquiète pour Kalen. Le combat n'est pas vraiment équilibré, même avec les renforts de tout à l'heure. Et tant que Cassy-1 restera hermétiquement fermé, le Consul gardera l'avantage. Veux-tu que je te fasse visiter ? Rester ici me démoralise.

— Oh. Peut-être une autre fois. On pourrait sortir ? Je te présenterai à ma communauté.

— Je ne sais pas... oui, si tu veux.

— Tiens, les selcyns ont des hélicoptères ? demande-t-elle en se penchant pour regarder derrière moi. Incroyable, je n'en ai pas vu depuis six ans. Comment les ont-ils eus ?

La réponse est simple : les selcyns n'ont pas d'hélicoptères.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now