Pour une journée calme, c'est mal parti

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  Dans un petit appartement bordelais se trouve un jeune homme en train de rêvasser devant une tasse de café froide. Ce n'est pas la meilleure boisson du monde, mais c'est le cadet de ses soucis.

Une musique entraînante ambiance l'appartement depuis l'autoradio presque constamment en marche.

« It could be wrong
Could be wrong
But it could've been right

Love is our resistance
they'll keep us apart and they wont to stop breaking us down
Hold me
Our lips must always be sealed...»

Charles sourit.

De minuscules fragments de souvenirs lui reviennent encore et encore alors qu'il fixe tristement le Mug à moitié vide.

" Charles! aboya-elle alors que cette même musique tournait toujours, le caniche a encore fait une crise d'épilepsie! Tu l'amènes quand chez le véto'? Parce qu'à ce rythme il ne tiendra pas la semaine...

- Jamais, répondit Charles lassé, plus vite il crevera, plus vite ses hurlements cesseront de me casser les oreilles! Quoi que les tiens ne sont pas mal non plus!

Clémentine frappa la paume de sa main contre la table.

- Tu es vraiment stupide! Je fais de mon mieux pour être gentille et adorable, je fais tout pour que tu m'aimes, et toi tu me traites comme une moins que rien! répondit-elle énervée et au bord des larmes.

- Adorable, adorable... Surtout quand tu dors! rétorqua le jeune homme, lassé par l'exagération continuelle de sa compagne.

- C'est bon, j'en peux plus, je pars! lui hurla-elle finalement."

La jeune femme claqua la porte et il ne la revit plus...

La musique cesse.

Il y a quatre jours aujourd'hui qu'elle l'a abandonné et depuis quatre jours, il reste chez lui à regarder distraitement des vidéos sur Internet. Se dire qu'il est peut-être en pleine dépression lui fait un peu mal, mais il prend toujours tout trop au sérieux...

Le jeune homme se prend la tête dans les mains, il échangerait bien son âme contre un verre d'alcool.

De plus, l'ambiance moite et l'odeur de renfermé régnant dans l'appartement le rend mou. Il a l'impression qu'à tout instant son cerveau va fondre et couler le long de ses oreilles...

Il était en couple avec Clémentine depuis deux ans et ce n'était pas le grand amour. Mais en ancien enfant gâté, il ne supporte pas la solitude.

Charles n'en a pas dormi la première nuit. Rabâchant avec insistance leur dernière conversation inutilement, mémorisant sans peine chacun de ses mots. Il a été bête sur ce coup là, il le reconnait, car il a besoin d'elle autant sentimentalement —bien qu'il ait beaucoup de mal à s'y résoudre— que financièrement.

Le jeune homme doit bien avouer qu'il se reposait sur elle. Étant lui même au chômage et ne pouvant payer ses factures régulières, il vit constamment dans la peur qu'on lui coupe le gaz.

Clémentine était sa bouée de sauvetage.

Le brun se dirige d'un pas nonchalant vers la porte conduisant à sa cuisine —payée elle même par Clémentine— où il jette rageusement sa tasse dans l'évier déjà plein.

Énervé, il se sert en pestant une tartine bien trop lourde en confiture et bien évidemment la fait tomber sur le carrelage blanc. Comme un malheur n'arrive jamais seul, son petit déjeuner se conforme à la règle du : je tombe sur mon côté plein de confiture histoire d'en mettre partout et je t'emmerde, il soupire en se résignant:

Comment déjeuner avec une telle boule au ventre?

L'idée de sortir prendre l'air lui devient de plus en plus sympathique, la sueur perle à grosses gouttes sur son front et il à un goût âcre sur la langue.

Ça fait longtemps qu'il n'a pas tranquillement pris l'air, seul, comme durant ses années de lycéen (petit rituel qu'il effectuait après chaque rupture un temps soit peu douloureuse) ses désirs étant le plus souvent occultés par les demandes intempestives de Clem.

Il fait demi tour et marche rapidement jusqu'à la porte d'entrée, étouffé par la pesanteur de son lieu de vie.

Il est excité, poussé par l'adrenaline que lui apporte rapidement son café matinal.

D'un coup de poignée, il ouvre la porte à la volée et sort rapidement de l'appartement. En vérifiant tout de même avec paranoïa qu'aucun voisin ne l'épie sournoisement depuis sa fenêtre. Dans cet immeuble les gens sont bizarres, et pas dans le bon sens du terme! La plupart du temps ce ne sont que des vieillards guettant un quelconque ragot, mais il en a vu défiler des tarés... Il y en a même un qui s'est fait arrêter par les flics, trafic de drogue il paraît.

Le jeune homme dévale les escaliers menant deux étages plus bas à la grande cour, un espace intérieur fleuri et parsemé de pierres étouffées par la mousse et le lierre. Le tout formant un chemin grisâtre dans cette forêt miniature et féerique, qui ne l'aurait pas plus parue sous une cloche de verre soufflé.

Sans plus s'attarder, il sort de son territoire pour entrer dans la ville, et avoir l'immense privilège de marcher parmi les déjections canines et les paquets de cigarettes vides.

Son élan de départ est bien vite freiné par le nombre de personnes autour de lui courrant, criant, bavardant gaiement dans un brouhaha désagréable... Tête baissée il marche, se fondant dans la foule jusqu'à ce que parvienne à ses oreilles des cris stridents. Il relève la tête en entendant les plaintes soudainement aiguës de matrones choquées.

"Oh mon Dieu! Regardez ça! Il faudrait interner cet homme!" S'en suit un concert de hurlements faussement outrés.

Bien que le spectacle en lui-même soit déplaisant, il suffirait de passer sa route ou d'appeler la police, quoi qu'il se voit mal téléphoner au poste et crier d'une voix apeurée :

"Monsieur? Au secours venez vite, un octogénaire alcoolisé danse nu sur la route juste devant moi! À l'aide!"

C'est tout plus ridicule que dérangeant.

Charles soupire et passe devant lui sans s'inquiéter du moment où le pauvre homme sûrement déconnecté de la réalité reviendrait à lui...

A moins que les agents l'arrêtent directement pour exhibitionnisme.

Foule SentimentaleWhere stories live. Discover now