Chapitre 4. Chez Edern.

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Quand Morgan franchit le seuil du petit appartement d'Edern, il savait que ses affaires s'y trouvaient déjà, soigneusement préparées par sa mère au cours de la semaine écoulée et rapportées par Edern dans sa voiture. Il aurait l'occasion de vérifier avec le contenu des sacs si Aude avait vidé sa chambre ou si elle espérait encore qu'il revienne.

Cette pensée lui souleva le cœur et il préféra se projeter des images de sa future vie avec Edern. En train de cuisiner tout en plaisantant, en train d'attendre qu'Edern ait fini sa douche... Il trouverait un job quand il irait mieux afin de payer la moitié des courses.

Il était fatigué. Une semaine de coma, suivie d'une semaine d'inactivité dans un lit, examens médicaux exceptés, et le fait de se tenir debout, de marcher, même avec ses béquilles, devenaient un parcours du combattant. Surtout avec ses béquilles.

Rien qu'à l'idée qu'il allait devoir passer des contrôles réguliers, il était encore plus épuisé. Il n'avait pas échappé à Morgan que le médecin, Paget, avait demandé à Edern de surveiller sa coordination, son humeur, voire d'éventuelles angoisses nocturnes. Oh, il en avait. Et il espérait bien ne pas ennuyer Edern avec ça. Il faudrait que ça passe inaperçu. Il allait gérer, pas la peine qu'Edern s'occupe de ça en plus du reste. Il en faisait déjà tellement pour lui !

Et puis Morgan éprouvait une sorte de honte mal placée à se trouver si fragilisé face à celui qu'il aimait. Il voulait toujours lui monter le plus bel aspect de lui-même. Un peu raté, ces derniers temps, entre les hématomes sur la tronche et la jambe plâtrée. Il ne brillait pas par sa prestance. Quelle prestance, d'abord ? Il était si maigre ! Il n'avait jamais réussi à s'étoffer et l'hôpital n'avait rien arrangé, avec sa bouffe dégueulasse.

Il devrait se mettre au sport, peut-être ? Mais pourquoi ? Éblouir Edern ? Avec son physique quelconque ? Et dans quel but ? Séduire Edern ? La bonne blague ! Edern ne s'intéresserait jamais à lui de cette façon.

Morgan regarda autour de lui. Il n'était pas venu tant que ça chez Edern, alors qu'il avait l'appartement depuis septembre, c'est-à-dire huit mois. Les murs de l'entrée étaient clairs. Comme ceux de toutes les pièces d'ailleurs, y compris la chambre d'ami où il logerait. Il s'en souvenait.

Il débutait un autre pan de son existence en ces lieux et les anciens ne lui manquaient pas. Seule Irina lui manquait mais elle viendrait le voir. Ils riraient, parleraient de tout sauf ... Le chagrin le submergea tout à coup. Il déglutit, se passa la main sur les yeux pour chasser les premières gouttes. Peine perdue. Ou plutôt, la coupe était pleine. De sa peine. Elle était puissante, elle allait tout submerger. Il s'affala contre le mur, faisant tomber ses béquilles. Il éclata en sanglots.

— Hey, hey, hey, murmura la voix chaude d'Edern. Chut... Je suis là. Tu sais que je ferai tout pour t'aider.

Ces mots de réconfort, tant attendus, qu'il aurait aimé entendre de la bouche de ses parents, serrèrent davantage la gorge de Morgan. Ces mots étaient bons et affreux, ils apaisaient et tourmentaient, ils consolaient et exhibaient le gouffre de l'absence. Mais Edern était là, Edern dont il était amoureux. Même si c'était sans espoir.

Des bras encerclèrent soudain son corps tremblant. Une joue chaude se posa contre la sienne, qui était ruisselante. Un baiser voleta jusque dans son cou, si léger qu'il avait dû le rêver. Mais un autre vint effleurer ses lèvres frémissantes. Oh non. Il ne l'avait jamais imaginé. C'était si fou qu'il n'aurait pas osé ne serait-ce qu'en créer une image. Et voilà que le malheur, affamé, avide de jouer avec la loi des séries, continuait de s'acharner.

— Tu as pitié de moi et à cause de ça, je suis en train de rendre mon meilleur ami gay, balbutia Morgan entre deux hoquets.

— On ne peut pas rendre gay quelqu'un. Tu dois être le premier à le savoir, non ? C'est en moi depuis longtemps. Je suis amoureux de toi depuis longtemps, révéla Edern.

La surprise suspendit les sanglots de Morgan. Il n'y croyait pas. Edern avait pitié et sa gentillesse allait trop loin dans la démesure, voilà tout. Edern avait ôté sa tête de l'épaule de Morgan pour se confier mais Morgan se sentait incapable de regarder son ami. Il avait peur de la vérité, quoi qu'elle fût.

— Pou... Pourquoi maintenant ? bégaya Morgan.

— Parce que tu es là, chez moi, juste avec moi. Je ne sais pas.

— Pourquoi si tard ?

— Ce n'est pas tard, tu as dix-huit ans, j'en ai dix-neuf, rétorqua Edern. Nous n'avons pas perdu de temps.

— Et les filles ?

— Quoi, les filles ? s'étonna Edern.

— Tu n'es pas attiré par elles ?

— Je les aime moins que toi.

— Je ne sais plus quoi dire, bafouilla Morgan, les yeux toujours baissés.

Edern ne répondit pas tout de suite. Quelque part, une tourterelle roucoula et un plus petit oiseau enchaîna avec son trille frêle. Ce début de soirée était si calme, comparé à la tempête qui s'agitait sous le crâne de Morgan !

— C'est normal, que tu ne saches pas quoi dire, finit par prononcer Edern d'une voix douce. Tu es secoué par tant de choses... J'aurais peut-être dû attendre, qu'est-ce qui m'a pris... Je voulais te consoler.

— C'est tout ?

— Quoi, tout ?

— Tu voulais juste me consoler ? précisa Morgan.

— Non ! Je suis sérieux. Ça va aller, nous allons être bien, toi et moi.

— Oui, articula difficilement Morgan.

— Tu n'as pas peur de mon aveu, hein ?

— Non, bien sûr que non, renifla Morgan. Je suis content, affirma-t-il et ses pleurs reprirent.

— Si, je t'ai fait peur, la preuve, tu pleures, déplora Edern.

— Crétin, sanglota Morgan. Je suis ému, c'est tout.

— Tu vas te reposer avant tout et ne penser à rien d'autre et...

— Avec ce que tu viens de me dire ?

— Et toi, alors ? Qu'est-ce que tu as à me dire ? s'enquit Edern, la voix rauque.

— Tu ne le sais pas ?

— Je m'en doute.

— Pas moi. Je ne me doutais de rien. Je ne pensais pas que ... que tu étais gay. Et...

— Bi. Mais amoureux de toi depuis la primaire. Et on est là, à nous confier des choses essentielles dans un couloir alors que ta jambe...

— Ma jambe va bien. Je t'aime aussi.

— Tu l'as dit ! Regarde-moi. Je t'en prie, Morgan, regarde-moi. Je sais que ça fait beaucoup d'un coup mais regarde-moi.

Au moment où il pensait qu'il n'en aurait pas le courage, Morgan leva la tête vers le beau visage d'Edern. Les yeux bleus brillants de larmes retenues dans les yeux noirs rougis et fatigués. Les lèvres sensuelles et joliment modelées d'Edern, entrouvertes, tremblaient légèrement.

Morgan tenta de sourire, tandis que la chaleur familière envahissait son bas-ventre. Il voulait démontrer qu'il n'avait pas peur de l'aveu d'Edern. Bien au contraire. C'était juste trop, en effet, un trop plein d'émotions en si peu de temps... multiples, unies ou bariolées, tristes ou belles, comme celle qu'Edern venait de lui offrir.

Morgan tendit une main hésitante et Edern s'en empara, la porta jusqu'à sa bouche et l'embrassa, avant d'inspirer profondément et de contempler à nouveau Morgan. Sans le lâcher. Alors c'était vrai. Edern éprouvait manifestement des sentiments pour lui.

Et désormais, il allait vivre avec lui ! Trop, c'était trop, trop beau mais vrai, pourtant. Vrai comme les bras qui s'enroulèrent à nouveau autour de lui, qui le soulevèrent et l'emportèrent.

— Viens te reposer, murmura seulement Edern. Il faut que tu dormes.

ca,܄

Au creux de tes bras, roman édité, 5 chapitres disponibles. Where stories live. Discover now