Chapitre 3. Sa mère et sa soeur.

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Morgan ne se rendit pas compte du départ d'Edern. Mais lorsqu'il se réveilla, il se trouva bien seul, face à la nuit printanière qui s'avançait par la fenêtre. Edern lui manquait dans sa chair, comme si on lui avait coupé un membre. Edern, ses yeux bleus, ses cheveux blonds, sa carrure, son rempart contre la noirceur de sa vie familiale.

Heureusement, il se rendormit très vite et la matinée suivante fut très occupée. Il y eut d'abord la toilette, qui révolta sa pudeur. Mais l'aide-soignante avait un œil et des gestes de professionnelle. Heureusement que ce n'était pas un homme ! Morgan n'aurait pas su où se mettre. Il aurait été capable de monter son émoi, face à des mains masculines soulevant son pénis et ses testicules. Mince, n'était-ce pas normal, à son âge, et avec ses hormones en ébullition ?

Les infirmières lui retirèrent ensuite la perfusion qui le nourrissait ainsi que la sonde urinaire. La douleur le laissa pantelant. Il mangea un minimum.

Alors qu'il somnolait, en début d'après-midi, on frappa presque timidement à la porte et sa mère et sa sœur firent leur apparition. La robe blanche d'Aude la rendait encore plus pâle et faisait ressortir ses cheveux noirs. Sa sœur portait un gilet turquoise pimpant dont l'éclat ne suffisait pas à masquer ses cernes.

Irina se précipita sur Morgan. Elle l'aurait sûrement serré contre elle si elle avait pu. Aude observa le visage de son fils, le plâtre sur le matelas avec un sourire triste et désolé, les mains serrées sur son sac, qu'elle ne se décidait pas à déposer, comme si elle s'y raccrochait.

— Regarde, maman, grinça Irina en se retournant vers sa mère. Regarde ce que papa a fait à Morgan.

Elle prit la main de son frère, celle qui avait accueilli la perfusion et qui s'ornait d'un gros bleu près de la veine. Elle la reposa et se mit à pleurer, le corps secoué par le chagrin.

— Ça va aller, Irina, dit Morgan, touché par cette version féminine de lui-même, chétive et brune, qui versait des larmes parce qu'elle l'aimait.

— Après tout ça, ton père ne voudra plus que tu reviennes à la maison, intervint Aude. Je vais essayer de lui parler, Morgan.

— Qu'est-ce que tu dis, là ? s'écria Irina en se redressant brutalement. Je rêve ? Pourquoi il déciderait de ça tout seul d'abord ? Et pourquoi reviendrait-il ? C'est lui, qui doit s'en aller après ce qu'il a fait !

— Il est chez lui, répondit calmement Aude.

— C'est chez toi, c'est chez nous et pour l'instant, il est en prison parce qu'il a failli tuer son fils, la contredit Irina. Ton fils. Mon frère, ajouta-t-elle avec une moue farouche.

— Qu'est-ce que tu essaies de faire, Irina ? Je ne divorcerai pas, affirma Aude sans s'énerver.

— C'est une erreur ! protesta Irina. Ça craint ! Morgan, Edern te prend chez lui pour ta convalescence. Un conseil, reste là-bas. Tu y seras plus en sécurité que chez toi !

Irina avait des mots durs, mais c'étaient aussi des mots vrais, pour Morgan. L'adolescente essayait de faire bouger les choses, de faire bouger leur mère. Alors qu'il ne lui en avait jamais voulu de sa passivité et de son silence jusque-là, Morgan éprouva tout à coup du ressentiment. Il ne souhaitait pas passer avant le père dans le cœur d'Aude, il désirait juste que cela se passe autrement à la maison et elle s'y refusait. Elle ne ferait aucun reproche à son mari.

Paskal Lagadec ne changerait pas. La prison, le procès ne le changeraient pas. Est-ce que lui, Morgan, allait devenir hétéro pour se simplifier la vie ? Non. C'était sa nature, comme celle de son père était violente.

— Je ne rentrerai plus à la maison, maman, décida-t-il.

— Ne dis pas ça ! s'écria Aude, atterrée.

— Je me débrouillerai.

— Ce n'est pas une réponse !

— Tu n'en n'apportes pas non plus, maman, fit remarquer Irina.

— Paskal peut faire des efforts, plaida Aude. Il en fera, maintenant.

— Je ne crois pas, dit Irina. Tu sais qu'il entre comme ça lui chante dans ma chambre pour tout surveiller et juger et interdire ? Tu sais qu'il me tire les cheveux et me gifle dès qu'il voit quelque chose qui ne lui plaît pas ? Oui, tu le sais et tu laisses faire ! Il frappe Morgan pour des motifs débiles et toi tu tournes la tête ! Et là il l'a balancé par la fenêtre. Tu vas l'accueillir comme si de rien n'était quand il aura purgé sa peine ?

— Les enfants, laissez-lui une chance, d'accord ? soupira Aude.

— Non, décréta Morgan, surpris de la force de sa voix.

— Non, renchérit Irina, qui exultait. S'il revient, je ne serai pas là. Tata m'a proposé de repartir à Rennes avec elle, révéla-t-elle.

— En quel honneur ?

— À ton avis ? rétorqua l'adolescente. Elle ne veut pas que je vive sous le même toit que lui ! Il est dangereux ! Alors arrête, maman. Ta belle petite famille idéale n'existe pas, n'a jamais existé et n'existera jamais.

— Je vais parler à Aurore. Elle n'a pas à se mêler de notre vie, s'entêta Aude.

— Ce n'est pas elle le problème et tu le sais, accusa Irina. Elle veut juste aider, maman, alors que toi, tu ne fais rien. J'ai envie d'exister autrement, tu comprends ?

— Tu es mineure, Irina, objecta Aude.

— Je suis tout à fait capable de m'exprimer auprès d'un juge, qu'est-ce que tu crois ? riposta la jeune fille. Qu'est-ce qu'il fera si j'explique que je ne veux pas vivre sous le même toit qu'un homme qui a toujours été violent et qui a été condamné pour avoir jeté mon frère par la fenêtre ?

Elle croisa les bras, d'un air de défi mais ses yeux noirs étaient malheureux. Finalement, ce qui venait d'arriver à Morgan faisait exploser ce qui couvait depuis des années. La vie allait changer pour Irina et pour lui, parce qu'ils le désiraient désormais. Mais ils ne pourraient rien faire pour leur mère si elle ne voulait rien entendre.

Morgan s'évadait loin de l'affrontement entre sa mère et sa sœur. Il pensait déjà à sa vie avec Edern. Le jeune homme ne l'aimerait jamais d'amour mais en tant qu'ami, il était formidable, à toute épreuve et Morgan s'en contenterait. Il saurait s'en contenter.

Quand il serait guéri, il reprendrait la fac de Lettres. Il se voyait déjà en train d'étudier, près d'Edern bossant ses propres cours de géographie. Les choses sont-elles aussi simples ?

Q

Au creux de tes bras, roman édité, 5 chapitres disponibles. Where stories live. Discover now