Chapitre 38 - Comité d'accueil

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— Quand tu veux ma biche, s'amuse Mei. Je me lance le défi de le faire sortir de ses gonds. C'est trop facile avec Raimundo. J'ai besoin de me challenger.

— Piloter un drone, ce n'est pas un challenge suffisant ? nous demande Jarod en s'approchant.

— Pas le même délire, fait Mei avec un clin d'œil.

— Visiblement, il ne sera pas possible d'éviter l'extérieur, rajoute Jarod en se rembrunissant. Un selcyn va bientôt venir nous l'annoncer.

— Je n'aime pas ça, soupiré-je. Nous sommes trop loin du cœur des combats pour évacuer les blessés.

— Nous nous rapprocherons quand ce sera moins risqué, m'affirme le papa de Paola. Raimundo est de retour, je rejoins Elvis. À tout à l'heure les filles. Et... bonne chance.

Jarod nous adresse une grimace complice avant de repartir vers son groupe. J'enfile un gilet dans lequel je nage complètement et me range docilement dans la file qui se reforme. La petite bimbo de l'autre jour est présente. Dans son pantalon gris et son débardeur kaki, je la trouve bien plus belle qu'en microshort. Et à ma grande surprise, elle ne semble pas du tout apeurée, on croirait une pro. Je regarde autour de moi. Fini les poulettes en quête d'amour, bonjour les guerrières. Nous allons prouver aux selcyns que les femmes sont aussi combattives que les hommes, si toutefois Ranissa, Malyan et les autres selcynes ne les ont toujours pas convaincus. Mei semble lire dans mes pensées et affiche un large sourire... avant de zieuter la poitrine de notre collègue de galère. Incorrigible Mei.

Raimundo aboie ses ordres et nous voilà prêts à pénétrer dans le grand ascenseur d'évacuation. Un flash lumineux, un léger vertige, et nous voilà sur la terre ferme. Le lieutenant est déjà en train d'installer un projecteur holographique pour avoir une vision globale de la zone d'action. Je suis la file menant à la caisse de télécommandes et en saisis une. C'est bien plus lourd qu'il n'y paraît. L'objet blanc en forme d'arc de cercle possède deux larges poignées aux multiples boutons et un écran rétractable. Nous n'avons été formés qu'aux fonctions les plus basiques : l'allumage de l'écran, les touches directionnelles et le tir. Nous nous asseyons à flanc de colline et entamons le processus de démarrage. Un pan de la paroi de Cassy-7 s'ouvre, non pas pour faire rentrer les œufs dorés, mais pour nous permettre de libérer nos drones. Mon écran se déploie lentement et l'image est pour l'instant floue. J'enfile les lunettes 3D que me tend Raimundo et les enfile avec empressement. Ça y est, je vois nettement l'intérieur du hangar de Cassy-7 et les premiers robots prendre leur envol. C'est parti !

Comme convenu, nous suivons l'appareil d'un des militaires professionnels de notre groupe. Je réalise alors que, malgré l'écrasante présence de Cassy-1, nous sommes loin de la zone visée. Nous arrivons en cinq minutes au niveau de Cassy-13. J'aperçois d'autres engins selcyns au loin, au moins cinq, mais il y en a peut-être encore plus de l'autre côté du vaisseau du Grand Consul. Heureusement pour nous, un quart du pourtour de l'engin est bloqué par les reliefs de la région. Le sabotage a certainement contraint les pilotes à l'urgence, et le vaisseau est posé en biais, entre deux sommets. Comment est-il possible de faire décoller une masse pareille, qui en plus est partiellement coincée dans la roche. Il faudrait une puissance démentielle, une technologie que ne possède pas notre civilisation.

Nous arrivons au niveau des premiers combats, pour le moment intégralement aériens. J'ai d'ailleurs manqué de peu de faire crasher mon drone en voulant regarder à terre. J'y ai vu les premiers blessés. Merde. Et nous sommes encore loin de l'entrée de Cassy-1. Je repère sans mal le cœur du conflit. Les lasers rouges zèbrent le fond noir qu'impose le géant déchu à l'endroit où les tirs font rage. Là où Kalen se trouve. Mon ventre se tord, et je suis à deux doigts de perdre le contrôle de mon robot. Cassy-17 est également en vue, mais légèrement en retrait, bloqué par une nuée de suppos dont les surfaces dorées scintillent comme des étoiles en plein jour. Il paraît minuscule en comparaison de son grand frère. Un bruit d'explosion en provenance de mes lunettes me fait sursauter. Un cri de rage à quelques mètres de moi lui répond. Un des drones a été abattu. Je serre les dents, je dois absolument gagner la zone où Kalen combat. Il le faut !

J'aperçois enfin les armées terrestres, mais n'ai pas le loisir de m'attarder pour tenter de repérer Sam. Un autre IAM est touché, je ne dois surtout pas ralentir.

— Vous avez l'autorisation de tirer dès maintenant ! crie Raimundo. On reste dans cette zone.

— Nous sommes encore loin de notre objectif, observe notre leader de vol.

— Si nous nous acharnons à vouloir nous approcher, il ne restera plus aucun robot pour appuyer les aliens.

— Selcyns ! grognons Mei et moi en chœur.

— L'essentiel, c'est de se comprendre, marmonne le lieutenant.

— C'est une question de respect, Raimundo, lâché-je.

Dans l'impossibilité de quitter mon écran des yeux, j'ignore la réaction de mon interlocuteur à ma petite provocation. Mais le léger rire de ma meilleure amie vient me réchauffer le cœur. Il me donne du courage, celui de sciemment désobéir aux ordres pour me rapprocher toujours plus de l'homme que j'aime.

Plus les minutes passent, et plus je me dis qu'il sera impossible d'évacuer le moindre blessé. Je n'avais vraiment pas pris la mesure des distances. Sur mon écran, j'ai l'impression que la nuit est tombée : le vaisseau du Consul a presque totalement obstrué le ciel gris clair. Cinq kilomètres de large sur douze de long, et une hauteur équivalente à un immeuble de vingt étages. Les mots de Kalen me reviennent, et les images qui défilent sous mes yeux illustrent à présent ce que mon cerveau avait du mal à appréhender. Ma perception des dimensions était différente dans l'espace.

Je n'ai pas encore tiré un seul coup de feu, je trace, sans réfléchir à autre chose. Et ma technique fonctionne, personne ne semble se soucier d'un drone isolé. Je touche au but, croisant les premiers suppos de l'escouade de Kalen.

— Ferrat ! rugit Raimundo dans mon dos.

Je sursaute et vois mon robot piquer au sol. Je reprends le contrôle in extremis. Le lieutenant souffle dans mon dos, visiblement furieux.

— Je peux savoir ce que vous faites ? Depuis tout à l'heure, je m'époumone à vous livrer mes ordres. Et se rapprocher d'une zone rendue infranchissable par la densité des lasers n'en faisait pas partie.

— J'ai du mal à piloter et écouter en même temps, tenté-je, sans ralentir pour autant.

— Si vous vouliez surveiller votre homme, il fallait le convaincre de vous laisser un œuf ! Ici, vous êtes sous mon commandement, et je vous ordonne de faire demi-tour. Immédiatement.

Si j'insiste, je vais me faire virer sans autre forme de procès. Mais abandonner est bien trop douloureux. Alors que l'hésitation me gagne, un suppo apparait subitement devant moi. Ami ou ennemi ? Comment savoir ? Il se détourne pour prendre en chasse un autre appareil. Si nous avions pu respecter le plan initial, nous aurions abattu tout appareil sortant de Cassy-1. Mais maintenant, je réalise mon impuissance. Je ne souhaite pas appliquer le principe de Kiodo et juste espérer ne pas me tromper de cible. À regret, j'entame un demi-tour. Je me retrouve brièvement face à Cassy-17, attaqué de toute part. Des flammes dansent sur sa carrosserie, le crash est imminent. En pivotant, je réalise qu'il n'y a pas que des suppos qui le mitraillent. Derrière, un autre mini-Cassy, ennemi celui-là, s'en donne à cœur joie. Le vaisseau d'Aston n'en a plus pour très longtemps. Tous les selcyns encore à l'intérieur vont devenir des cibles faciles, et l'escouade de Kalen n'aura plus de point de chute.

— Lieutenant Hernandes ! m'écrié-je. Regardez mon écran.

J'entends Raimundo enfiler des lunettes en grommelant quelques jurons.

— Il faut aider Cassy-17, le supplié-je.

— Ferrat...

— Je vous en prie, on ne peut pas perdre un vaisseau de cette taille, pas déjà... pas alors que nous sommes en infériorité numérique !

— Et puis merde ! Faites-vous discrète et ne faites feu que si vous êtes certaine d'atteindre votre cible. Les pilotes qui le peuvent doivent rejoindre Ferrat au premier vaisseau selcyn. Nous avons une cible, une grosse cible.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now