Chapitre 34 - Saisir une main tendue

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3 septembre 2289 - Campo Santa Maria - Papuda

Le jus de caju ne suffira pas. À ma gueule de bois s'ajoute le manque de sommeil. Ma courte nuit a été remplie de cauchemars. Je ne me rappelle plus les détails, seulement que mon corps était immobilisé et que je ne pouvais même pas crier pour appeler à l'aide. Je me frotte les bras en repensant aux cicatrices dont m'avait fait cadeau le Général Lee. Elles ont bien sûr totalement disparu, mais le souvenir des mauvais traitements de mon ancien supérieur est toujours frais. Tout comme les menaces du Consul. Et maintenant, je dois ajouter les visages de mes trois agresseurs à la liste des images que je dois tenter d'effacer de ma mémoire. Mei me claque un bisou bruyant sur la joue. J'ai profité de l'absence de Kalen pour lui raconter en détail ce qui s'est passé hier soir. Elle a bien évidemment copieusement insulté ces hommes. Quelque part, et je grimace à cette idée, cette agression était cruellement prévisible. C'est ce que je me dis avec le recul, et Kalen l'avait pressenti (extraterrestre visionnaire, ça ferait une belle reconversion professionnelle). Mais ce qui me perturbe le plus, c'est ma réaction. Ces quelques secondes où mon corps ne répondait plus à mes injonctions. Que se serait-il passé si je n'avais pas repris le contrôle ? Sam me presse la main avec bienveillance, et comme si elle lisait dans mes pensées, elle me dit d'une voix douce :

— La peur panique peut être paralysante. Tu es surement mieux placée que moi pour le savoir. En tant que médecin, je veux dire.

— Oui, c'est un symptôme physique. Le savoir est une chose, le vivre en est une autre. Je pensais naïvement que je n'étais pas ce genre de victime, de celles qui se laissent faire sans réagir.

— Et ce n'est pas le cas puisque tu as réagi, et sacrément bien ! m'assure Sam.

— À coup sûr, Duarte leur a explosé la tête à coup de trique, suppose Mei.

— C'est bizarre, fait la lieutenante. Je ne l'aurai pas cru capable de frapper ses hommes pour défendre l'un de nous.

— Je dirais plutôt qu'il l'a fait pour protéger son camp, répond ma meilleure amie. S'il n'avait pas agi, dans un premier temps, Kalen se serait transformé en psychopathe et aurait fait un carnage. C'est d'ailleurs une possibilité qu'on ne peut toujours pas écarter vu sa fureur. Et dans un second temps, un conflit aurait vu le jour entre le millier de terriens du campo et les vingt mille selcyns qui campent dans leurs vaisseaux. Bref, notre Lily est bien jolie, mais c'est davantage pour la sécurité des siens que pour ses beaux yeux qu'il a mis tant d'ardeur à lui faire justice.

Les propos de Mei tiennent la route. Je hoche pensivement la tête tandis que Kalen revient de sa quête de viennoiseries. Effectivement, les flammes qui dansent dans ses yeux ne sont toujours pas éteintes. Nous ne sommes toujours pas à l'abri d'un carnage. Il faut dire qu'il était aux premières loges cette nuit quand mes angoisses m'ont privé de sommeil. Il dépose une grosse brioche sur la table et m'embrasse avec une ardeur inattendue. Je déteste la violence, mais même sobre, je ne peux m'empêcher de trouver sa réaction sexy. Savoir qu'il pourrait tuer pour moi est... un plaisir coupable. J'espère tout de même que nous n'en arriverons pas là. Nous avons suffisamment de soucis à régler comme ça.

— J'ai croisé le Maréchal ce matin, nous informe-t-il d'une voix cassante. Il a des nouvelles importantes à nous communiquer. Il a exigé que nous soyons tous les six présents, en plus des Temens et de Malyan.

— Il a exigé la présence de Malyan ? s'étonne Sam. Après ce qu'elle lui a fait subir hier ?

— Peut-être qu'il en redemande ? rit Mei.

— Je pense surtout qu'elle sera là en tant que représentante des rebelles, explique mon compagnon. Au grand désespoir de Kiodo et Atson qui auraient préféré avoir à faire à... quelqu'un comme Varely.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now