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Il m'a appelé sur le fixe de mes parents. C'est mon meilleur ami depuis deux ans environ, nous sommes tellement fusionnels que les gens pensent que nous sommes en couple. 

Il a vingt ans, moi quinze, alors souvent les passants nous jugent, mais on s'en fout pas mal en vrai.


J'ai pris le bus et je suis enfin arrivée. Je sonne à l'interphone, je m'annonce et au lieu de seulement m'ouvrir comme à son habitude, il me dit "Je t'aime" juste avant de déverrouiller la porte du hall. 

Il ne m'a jamais dit ça, jamais et je crois qu'il pleurait, c'était dans sa voix, ça lui faisait mal de me le dire.


J'ai peur de comprendre que c'était en réalité un adieu lorsque j'entends un coup de feu en montant les escaliers vers le troisième étage du bâtiment. 

Dans ce quartier, ce genre de chose n'est pas rare, mais là ça vient de l'intérieur.


J'entre dans l'appartement, il n'est pas dans son salon, mais une lettre trône sur la table, bien en évidence, avec écrit dessus "Léo, lit ça avant de me rejoindre dans la chambre". 

Je parviens difficilement à l'ouvrir, je tremble de tout mon être et pour cause, je le sais sans même commencer à lire, ce que j'ai entre les mains, c'est sa lettre de suicide.


Plusieurs personnes de son entourage m'avaient prévenu que c'était un grand dépressif et qu'être heureux comme il semblait l'être avec moi n'allait pas durer, qu'il trouverait le moyen de ne plus y croire et d'y mettre fin... Jamais j'aurais cru qu'il le ferait de cette manière.


J'obéis tout de même et lis ses derniers mots, qui disent qu'il m'aimait et qu'il lui était impossible de survivre à ses sentiments. 

Il y explique que si j'avais répondu favorablement, il aurait nagé dans le bonheur avant de tout gâcher et de me faire du mal pour être sûr que je ne revienne pas. 

Dans le cas où je l'aurais remballé, il ne l'aurait pas supporté, alors il conclut que pour lui aucune issue n'était possible.


Bien sûr, il demande pardon, je lui répondrai bien d'aller se faire foutre... Il le savait, je n'ai pas voulu voir mon père mort dans cette boîte prête à entrer dans cet immense four, alors il a fait en sorte que j'aie le choix. 

Ce qu'il a oublié, c'est l'espoir que j'ai encore de le trouver vivant, qu'il ait seulement orchestré ça pour que je sorte de sa vie.


Malheureusement, c'est un corps inerte allongé sur son lit. Il s'est tiré une balle dans la tête, alors pourquoi je prends son pouls ?!? 

Ah oui, encore ces six lettres qui forment un mot qui ne devrait pas être dans le dico, "espoir". 


Passage en mode robot ? Ouais, dans ces moments-là, pourquoi pleurer, pourquoi paniquer, il est mort, la seule chose à faire c'est d'appeler les secours, non ?


*****


Faut croire qu'au minimum, j'aurais dû pleurer quand sa mère est arrivée avant les pompiers. Mais je ne savais plus faire, c'était bloqué, depuis mon père, les larmes ne coulaient plus. 

Elle n'a pas compris, alors j'ai dû quitter l'appartement et je n'ai jamais pu savoir où il était enterré.


Des années après, internet m'aurait permis de le retrouver et de passer lui faire un petit coucou, mais j'avais oublié son nom, je n'avais plus que son prénom et des Sébastien, nés en 1979, y'en a juste 17 505...


Avec les années, les souvenirs s'effacent, je ne sais plus si j'ai couru quand j'ai entendu le coup de feu ou si je me suis figée devant cette porte. 

Je n'ai pas de photo de lui non plus, ni même sa lettre que j'ai laissée là-bas...

Dernière visiteWhere stories live. Discover now