Chapitre 20 - La monnaie de ta pièce

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Je me sens vraiment mal. Avoir ressassé toute cette mouise m'a fait réaliser à quel point notre situation à tous est désespérée. Je n'ai pas un regard pour les Brasiliens présents dans la salle principale. À ma grande surprise, nous quittons l'immeuble où nous nous trouvons pour nous rendre dans celui d'en face, tout aussi délabré. Avant d'entrer, mes yeux se posent sur l'étrange bâtiment faisant office de cathédrale, à plusieurs centaines de mètres de moi. Derrière la structure, le soleil se couche, donnant une teinte orangée au ciel.

Le rez-de-chaussée de ce nouveau lieu ressemble à un magasin de bricolage dévasté par une tornade. Il y règne un bazar sans nom. Vis, outils, dalles, tuyaux, miroirs, casseroles et tant d'autres objets sont entassés sans organisation logique. Je traverse trois grandes pièces du même acabit avant de rejoindre une cage d'escalier. Mes deux guides m'accompagnent jusqu'au quatrième étage. Je me sens si lourde que cette montée me vide de toutes mes forces. Nous finissons par stopper devant une porte métallique d'apparence solide. La femme sort une clé tandis que l'homme en chemise me pose une main sur l'épaule.

— Le protocole de sécurité nous impose de vous isoler. C'est pour votre propre sécurité. Je suis navré. Passez une bonne nuit, mademoiselle.

La porte s'ouvre et la première chose que je vois, c'est Kalen, assis contre le mur, la tête sur les genoux. Je cours vers lui et me jette à son cou. Je n'entends pas mes deux guides refermer la porte. Tout ce qui compte, ce sont les deux bras de Kalen qui s'enroulent autour de mes épaules. Nous nous blottissons l'un contre l'autre, silencieux et immobiles. Malyan signale alors sa présence d'un raclement de gorge. Je me détache de mon amant pour l'enlacer et m'assurer qu'elle se porte bien. C'est le cas et elle commence à m'interroger sur les coutumes un peu brutales des terriens. Je ris et lui explique que ce genre d'accueil est une spécificité due à leur nature selcyne.

Quelques minutes plus tard, notre repas est livré. Je lève enfin le nez pour observer ce qui m'entoure. La pièce est dépourvue de fenêtre. Le lit est en meilleur état que celui de mon ancienne cellule, et le robinet laisse échapper un mince filet d'eau, ce qui est une merveilleuse avancée dans le progrès. Cependant, le liquide me paraît bien trop trouble pour que je m'y risque. Heureusement, on nous fournit une grande bouteille d'eau et un repas de roi : des wraps au poulet et aux pommes de terre (dommage que nous devions manger par terre). Rassérénée par la présence de Kalen, j'engloutis ma part.

— C'est gustativement assez incroyable ! s'exclame Malyan.

— La nourriture terrienne m'avait manqué, m'avoue K en se léchant les doigts.

Ce simple geste provoque des remous dans tout mon corps. Il n'a pas l'air de se rendre compte de l'effet qu'il me fait. Je décide de me réfréner pour faire durer cette quiétude sans doute passagère.

— Le maire m'a dit que tu avais découvert le vrai café, le taquiné-je.

— Ce breuvage noir immonde ! Ne me dis pas que tu aimes ça ?

Je ris devant son ton dégoûté en totale contradiction avec son visage impassible. Du Kalen tout craché. Il tend la main vers moi et me caresse la joue. Je me fige, le cœur battant.

— J'aime ton rire, Chaton. Je voudrais l'entendre tous les jours.

Je suis incapable de répondre. J'oublie ma fatigue, j'oublie où nous sommes et ce que nous avons vécu : il n'y a plus que lui et moi. Jusqu'à ce que Malyan lâche un rot immonde.

— Délicieux, mais un peu rude pour l'estomac, se justifie-t-elle. Je tombe de fatigue, pas vous ?

Kalen et moi approuvons. La brunette bâille, puis se remet à parler. Nous la regardons quelques secondes avant de nous dévisager, amusés. Ni lui ni moi ne l'écoutons. La porte s'ouvre à nouveau. Un homme en uniforme orange et noir nous informe que Malyan est demandée pour la fin de son interrogatoire tandis qu'un autre en jean et tee-shirt débarrasse notre plateau. La rebelle se lève en s'étirant comme une panthère sous le regard intéressé du type en jean. Elle nous adresse un bref salut avant de replaquer son sourire figé sur son visage pour suivre le Brasilien.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now