Chapitre 15 - À brûle-pourpoint

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22 août 2289 - Cassy-1

Une séance de flaster et quelques heures de sommeil plus tard, je regarde ma cuisse vierge de toute blessure avant de retourner à la contemplation du visage à peine marqué de Kalen. Cette machine fait des miracles. Ou presque. Varely a définitivement perdu ses yeux. Il subira une autre séance dans la journée, et depuis ce matin (enfin, depuis notre réveil), il porte un bandage blanc pour protéger sa blessure. Mis à part ça, il semble aller bien. Il parle peu, mais je ne décèle aucune trace de regret. Soit il est extraordinairement doué pour cacher son affliction, soit il est fou. Peut-être les deux. Ranissa ne le lâche pas d'une semelle. Ça crève les yeux qu'elle se sent coupable. Oups, mauvais jeu de mots. Bref, elle s'en veut et il ne cesse de lui répéter qu'elle n'y est pour rien. De temps en temps, leurs mains s'entrelacent, leurs épaules se touchent. Mais cela reste fugace. Pourtant, ça crève les yeux qu'ils s'aiment. Mais je vais arrêter avec cette expression ! Il faut dire que je parais plus traumatisée que Ranissa, Malyan et Varely réunis. Et encore, je prends beaucoup sur moi, comme si mon esprit s'était habitué à subir drame sur drame. Une routine apocalyptique en quelque sorte. Bon, dit comme ça, c'est vraiment terrible.

Kalen regarde dans le vide. Je ne veux pas me disputer avec lui. Après le froid que mes idées de sabotage ont jeté entre nous hier, je n'ai pas insisté. Nous avons dormi côte à côte, nous risquant à de brefs contacts sans jamais dépasser le stade du toucher pouvant passer pour accidentel. Mais après un petit déjeuner à base de tartines de confiture (non, je plaisante, c'était encore des gjustres), je lui ai exposé mes idées, mes doutes, mes peurs en toute sincérité. Après cela, nos mains se sont timidement rapprochées pour se frôler. La tension entre nous est moins forte, mais toujours présente.

— Je n'arrive pas à assimiler l'information, me dit-il alors après un long silence. J'entends ce que tu me dis, je comprends ton point de vue, mais...

— Après une vie d'obéissance, la trahison a encore du mal à passer, finis-je d'un ton las.

— Oui, on peut dire ça, Chaton. Faire atterrir Cassy-1 serait mon plus grand acte de trahison, mais ce n'est pas seulement ça. J'ai peur. Peur de faire le mauvais choix, peur de provoquer la mort des miens.

— Et les terriens, tu y penses ?

— Évidemment, mon amour ! Et je sais aussi que tu ne me pardonnerais jamais de ne rien faire pour protéger ton peuple, ta planète. Tes angoisses résonnent en moi, je les ai déjà ressenties en perdant Selcyon. C'est ce qui me fait douter, et c'est ce qui me fera commettre la plus grande des folies. Car je sais que je le ferai.

J'aime quand il m'appelle mon amour. J'aime quand il parle de commettre des folies pour moi. J'oublie la gravité de la situation et me remets à le fixer avec admiration. Son visage a retrouvé son aspect immaculé et mes yeux suivent la courbe de ses mâchoires carrées pour aller ensuite s'égarer sur sa bouche, sa gorge. Dieu qu'il est attirant, charismatique, même dans ses moments de doutes. Carotte Man avait tort. L'amour ne rend pas aveugle, il rend plutôt niaiseux.

— La réserve de stabilisateur, lâche Kalen en attrapant fermement ma main.

— Oui, dis-je en ne sachant absolument pas de quoi il me parle.

— Il faut trouver un moyen de la vider tout en endommageant les jauges d'alerte. Les trois centres de pilotages ne doivent rien savoir de notre manœuvre, car il serait rapide et facile de réparer les dégâts. L'ensemble des responsables de vol ne doit réaliser la fuite que lorsqu'il sera trop tard pour agir dessus.

— Ça me paraît être un super plan, même si je n'ai rien compris.

— Lily, je suis très sérieux. Si on se lance, il faudra nous montrer rapides et discrets. Nous devons d'abord convaincre Ranissa et les têtes pensantes de la rébellion.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now