Chapitre 14 - Tout détruire pour mieux reconstruire

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Notre groupe se sépare et nous nous retrouvons avec Kalen à suivre Ranissa, Varely et son porteur. Sans surprise, nous atterrissons à l'infirmerie. L'ancien membre de la première garde est déshabillé et allongé dans le flaster. Ranissa ne le quitte pas des yeux. Malyan débarque à ce moment-là, et lâche un léger bruit d'étranglement en voyant son frère. La belle brune semble sous le choc pendant quelques secondes, puis se reprend et nous rejoint, K et moi.

— Comment allez-vous ? nous demande-t-elle.

— Prête à courir un cent mètres, ironisé-je.

— Oh, c'est une bonne nouvelle. Tu n'en as pourtant pas l'air.

— Lily plaisante, réplique Kalen. Elle est en aussi piteux état qu'elle en a l'air. T'es-tu autodiagnostiquée, Chaton ?

— Au moins deux côtes cassées ou fêlées, de multiples contusions. Un mal de tête et des vertiges qui suggèrent un léger trauma crânien, énuméré-je. Et ma cuisse est toujours terriblement douloureuse. Et toi ?

— Rien de cassé, à part mon nez.

— Bon, alors ça sera flaster pour tous les deux, soupire Malyan. Varely y est pour un moment, mais Lyna ira à sa suite, et Kalen finira ce triste tour.

— Je tiens à être seule quand je serai à poil dans votre machine, informé-je Malyan.

— Kalen ne sortira pas d'ici avant d'être soigné, et tes blessures sont prioritaires.

Je regarde mon compagnon. Bon, il m'a déjà vue nue, ce n'est pas le problème. Disons plutôt que j'avais besoin de solitude pour réfléchir à une façon de convaincre les rebelles de réfléchir à mon plan. Je décide donc d'attaquer prématurément :

— Il faut faire atterrir Cassy-1.

J'ai l'impression d'avoir lâché une bombe. Et c'est surement le cas. Ni Malyan, ni Ranissa ne bougent. Kalen s'enfouit la tête dans les mains. J'interprète ce silence comme une invitation à poursuivre.

— Le Grand Consul a pris sa décision : il a abandonné l'idée de rester sur Terre. Il va utiliser l'arme noire, après avoir pris le temps de laisser tous ses opposants sur place. C'est la mort qui nous attend tous, et la destruction d'une nouvelle planète habitable. Ma planète.

Pas plus de réactions. Je sens mon sang bouillir dans les veines.

— C'est trop risqué, finit par articuler Kalen. Si Cassy-1 atterrit, elle sera la cible de la super massive de Muzhi. Il y a neuf millions de Selcyns à bord. Où irions-nous pour échapper à cette menace ?

— Nous devons tuer le Consul, renchérit Malyan. Tout sera réglé quand il cessera de respirer.

— Neuf millions de Selcyns à bord, répété-je. Et parmi eux, combien de rebelles ?

— Ce qu'il faut que tu comprennes, Lyna, intervient Ranissa tout en continuant de fixer son compagnon, c'est que beaucoup de selcyns ont opté pour la neutralité dans ce conflit. Ils ne prennent pas part directement à la révolte, mais ils sont soit des sympathisants inactifs, soit de simples individus faisant le choix d'obéir au pouvoir en place sans ressentir le besoin de le défendre.

— Combien de rebelles, Ranissa ? insisté-je.

— Je pense que nous avons atteint les quatre-vingt mille, peut-être cent.

— Cent mille sur neuf millions ! m'écrié-je si fort que mes côtes me rappellent à l'ordre. Mais est-ce que tu réalises la folie de ton combat !

— Il suffit juste d'abattre le Grand Consul, se justifie Malyan. Sans leur chef suprême pour leur donner des ordres, les fidèles seront désorientés.

— Vous n'avez plus l'effet de surprise, le Consul est à présent inatteignable. De combien de soldats est constituée la première garde ?

— Dix mille Borls, répond Malyan. Mais il y a les toutes les gardes intermédiaires de Cassy-1 qui sont acquises à sa cause. Disons environ... cinq cent mille selcyns ouvertement hostiles, peut-être plus en comptant les Scinas. Mais nous sommes armés, et comme je te l'ai dit, nous avons des soutiens plus ou moins actifs ce qui fait que... argh ! Je ne sais plus quoi penser.

— Vous avez raté le coche, continué-je, encouragée par les doutes de la brune. Et tout ce que vous avez réussi à faire, c'est énerver votre Consul et accélérer sa décision de tout détruire pour tout reconstruire ailleurs. En attendant, il va vous faire payer votre rébellion. Bon sang, mais regardez Varely ! Nous pouvons convaincre le Maréchal Silva, Sam le pensait et je lui fais confiance. Mais nous n'obtiendrons rien avec un canon tueur de planète braqué sur nous !

— Oui... peut-être..., hésite Ranissa. Il nous faut un plan pour mettre le maximum de Selcyns à l'abri. Il faudra nous disperser tout en continuant d'espionner les communications pour agir en conséquence. Mais le mieux serait que vous fassiez votre possible pour que la bombe de votre général n'explose jamais. Et pour ça, vous devez rejoindre Jofen et les autres.

Silence. Je n'arrive pas à savourer ce début de victoire. Le visage décomposé de Kalen, qui m'apparait derrière son coquard et son arcade en sang, me trouble au plus haut point. J'ai la sensation de le trahir en imposant mon plan. Et si je précipitais la mort de son peuple en les offrant à Muzhi sur un plateau d'argent ? Je me mets à douter, mais mon compagnon sort de sa stupeur pour prendre la parole d'une voix éraillée.

— Pensez-vous vraiment le Consul capable de faire à nouveau usage de l'arme noire ? Je pense qu'au fond de lui, il regrette la perte de Selcyon. Il ne peut pas en être autrement. Il ne recommencera pas... je ne le crois pas. Réfléchissons bien : faire atterrir Cassy-1 revient à mettre en danger neuf millions de Selcyns, et à renoncer définitivement à l'exil. La question de la paix entre nos deux peuples deviendra une urgence absolue. Nous n'aurons plus le luxe de prendre notre temps pour la construire. Il nous faudra trouver une solution pour nous faire accepter par un milliard de terriens qui, pour la plupart, nous détestent.

— Ce n'est pas ton plan initial ? le raillé-je. Prouver qu'on peut tous vivre ensemble en paix ?

— Oui, je voulais le prouver, me répond Kalen, un brin énervé. Mais si Cassy-1 atterrit, il ne faudra plus le prouver, il faudra le faire.

— Et si le vaisseau n'atterrit pas, il n'y aura plus rien à faire ou à prouver ! répliqué-je, exaspérée. Le Consul est peut-être ton géniteur, il te reste peut-être, malgré tout, un peu de foi en lui, mais je suis certaine que oui, il est capable de recommencer. Il détruira la Terre, Kalen.

— Ok, Ok... mon corps réclame des soins et du repos. Et j'ai besoin de réfléchir posément. Pouvons-nous en reparler dans quelques heures ?

Son ton est glacial. Mon cœur se serre. Ce n'est toujours pas la réponse que j'attendais.

— Bon, fait Malyan en sentant probablement le malaise s'installer. En attendant votre tour dans le flaster, avez-vous besoin de quoi que ce soit ?

— Une culotte propre, marmonné-je.

Malgré tous mes efforts, je ne parviens pas à ignorer le début de sourire sur le visage de Kalen, qui disparaît illico.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now