-Tu n'as pas eu le choix, n'est-ce pas, le jour où tu as dû l'épouser ?

-Non, je n'ai pas eu le choix.

Je vis soudain les traits de Lysandre se métamorphoser, tandis qu'il resserrait sa prise autour d'Hélios. En cet instant, je la vis. La part de Galaad et d'Azel qu'il avait lui aussi en lui. Galaad fronçait ses sourcils de la même façon. Je chassai rapidement cette façon.

-Et le jour... commença-t-il.

-Le jour où Hélios a été conçu, j'étais consentante, me précipitai-je de dire.

J'avais dit ça d'une traite, sans m'arrêter.

Lysandre ne répondit rien.

-C'était le jour où je me suis échappée, continuai-je. Je voulais gagner sa confiance.

Pourquoi diable lui racontais-je tout ça ? Il avait raison, je n'avais pas à me justifier. Et même s'il était mon frère jumeau, je venais à peine de le rencontrer. Mais lorsque je relevai les yeux vers lui et que je lus dans son regard tout l'amour qu'il me portait, je compris. Je compris que j'avais eu besoin de le dire, tout simplement. En revanche, impossible de lui dire qu'une partie de moi aimait ou avait aimé Ayaan Malkam, que ce n'était pas simplement pour gagner sa confiance que j'avais accepté de coucher avec lui ce jour-là.

-Cet enfant est plus en danger que toi ou moi, dit-il en le berçant tendrement.

-Je le crains, oui.

-Son père fera tout pour le retrouver, ajouta-t-il.

-Oui.

-Personne ne le touchera, Era, affirma-t-il. Il est mon neveu, ton sang. Je ne permettrais pas qu'il lui arrive quoi que ce soit.

Nous restâmes silencieux de longues minutes, veillant sur Hélios qui commençait à s'endormir dans les bras de Lysandre.

-Que penses-tu réellement de moi, Lysandre ?

Il ne répondit pas tout de suite à ma question. Puis lorsqu'il reprit la parole, ce fut avec une voix claire et déterminée.

-Je pense que tu es une femme courageuse, Era. Une femme qui s'est trouvé un chemin dans le noir. Malgré le labyrinthe de ténèbres dans lequel tu étais, tu as su trouver la sortie, la lumière. Et à présent, tu aides les autres à trouver leur chemin dans ce dédale d'ombres.

Il effleura le soleil de Saphir à mon poignet, présent inestimable de la reine Saef Viviana.

-Et visiblement, tu as déjà éclairé le chemin de beaucoup d'autres depuis.

Il avisa le collier des cadets Eléazar autour de mon cou.

-Ni Ivoirienne, ni Saphir, ni Émeraude... Tu ne seras pas plus Argent, je me trompe ?

Un petit sourire triste jouait au coin de ses lèvres lorsqu'il comprit ce que Seth lui-même avait compris très rapidement après notre rencontre.

Il était intelligent, digne de tous ceux dont le sang coulait dans ses veines. Il avait bataillé contre sa mère pour que j'aie ma place, et moi, je ne pouvais même pas lui donner mon allégeance en retour.

-Je crains que je n'aie ma place nulle part, répondis-je simplement.

-Je pense que tu te trompes. Mais si tu ne me crois pas, essaye au moins de lui trouver une place à lui.

Il désigna Hélios d'un mouvement de tête.

Un sentiment de culpabilité m'envahit soudain. J'aimais mon fils. Je n'avais en revanche jamais vu les choses sous ce point de vue là, que j'étais en train de le couper du monde. Je ne voulais pas qu'il partage mon destin, je voulais qu'il ait un avenir meilleur.

Lorsqu'Hélios se fut endormi, Lysandre me prit par la main et m'entraina à sa suite.

-Il est plus que temps de trouver un berceau digne de ce nom à notre petit prince. Viens, je vais te montrer tes appartements.

***

J'avais une vue imprenable sur la cité d'Argent. Le salon jouxtait une grande terrasse qui donnait directement sur la ville en contrebas. Le bruit des discussions, des rires, et des enfants qui courraient dans les ruelles m'apaisa. C'était des bruits que je n'avais pas l'habitude d'entendre, ni à la Tour ni au Palais d'Émeraude, paisible château perdu dans les montagnes. L'effervescence de la cité d'Argent me gagna. J'avais envie d'arpenter ces rues, j'en fis tout de suite part à Lysandre qui approuva mon idée.

-Je te ferai visiter demain, c'est promis. Tu verras, on n'est toujours surpris par tout ce qui se passe à Valysstra.

-Valysstra... c'est un nom étrange pour une cité.

-Tout est étrange en Nation d'Argent comparé aux autres Nations, fit Lysandre en riant.

Je me retournai vers l'appartement, où Lysandre me guida vers une porte sculptée dans du cristal.

-Voici ta chambre, celle d'Hélios est juste à côté. La porte bleue dans ta chambre te mènera vers ta salle d'eau. Si tu as besoin de quoi que soit, demande un domestique. Je vais te laisser, je me doute bien que tu as envie d'être seule.

Je hochai la tête.

Un petit somme me ferait le plus grand bien.

-À plus tard, alors.

Avant qu'il ne tourne les talons, je l'appelai :

-Lysandre, pourrais-tu dire au Roi Émeraude que je suis ici, et qu'il me rejoigne dès que possible ?

Si Lysandre fut surpris par ma demande, il n'en laissa rien paraitre, et se contenta de me faire une petite révérence.

-Ce sera fait.

-Merci Lysandre. Pour tout.

Lorsqu'il fut parti, je m'assieds sur le lit, Hélios endormi dans mes bras.

-Un énième Palais, une énième chambre... Je crois que nous avons encore du chemin Hélios...

La Tour d'Ivoire - Tome 4Where stories live. Discover now