Chapitre 43 - Comme Chien et chat

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7 août 2289 - nord de Chicago - zone d'exclusion

Dix jours que nous sommes ici. Et rien ne bouge. À chaque lever de soleil, je sens Kalen sombrer un peu plus dans ses idées noires. Je mets un point d'honneur à ne pas le brusquer, mais je le vois s'éloigner de moi sans parvenir à le retenir. K semble obsédé par ce fichu communicateur. C'est à peine s'il nous adresse la parole, à présent. Je lui offre pourtant toute l'attention et toute la tendresse dont je suis capable en pareille situation. Je suis terriblement inquiète. Il va mal, et je constate avec tristesse que mon amour ne pourra pas à lui seul lui maintenir la tête hors de l'eau. Il me répète sans cesse qu'il doit trouver une solution pour nous mettre tous hors de danger et pour empêcher la destruction de la Terre, que tout est de sa faute et que c'est à lui de régler la situation. Il s'entête, rongé par la culpabilité et les regrets. Un peu de Xanax lui ferait du bien... Je contemple les jolis sous-vêtements que j'ai rapportés du centre commercial. Faut-il que je passe à l'offensive pour lui changer les idées ?

Sayan est également bien occupé : il espère pouvoir créer une onde capable d'émettre l'enregistrement de Lee chez les terriens, sans qu'elle soit détectable par les puissants radars du Grand Consul. Sam y tient beaucoup : elle veut que l'armée sache qui a assassiné son beau-père. Elle a raison, le Maréchal Silva doit absolument être averti des manœuvres de Muzhi. Le seul point positif est que notre Viking de l'espace semble avoir trouvé un début de solution pour étendre notre champ de communication à l'échelle planétaire... enfin quand nous aurons compris comment l'utiliser de manière discrète.

Seul Jofen semble détaché de tout ce bazar, comme s'il se fichait éperdument d'avoir été condamné à mort par son peuple et de devoir se cacher dans une zone dangereuse. Désormais, il passe trois heures par jour en salle de sport et ne relaie que très rarement Kalen, préférant passer son temps libre à épauler Sayan, même si, manifestement, il ne lui est d'aucune aide. Ces deux-là forment un drôle de duo. Je le soupçonne aussi de vouloir esquiver Mei. Jofen a de plus en plus de mal à masquer son agacement face aux sarcasmes de mon amie qui ont redoublé après la soirée cinéma. Mei s'est pourtant toujours entendue avec tout le monde, elle a le contact facile et cette décontraction insolente qui signifie : soit toi-même, je ne te juge pas. Je l'envie pour ça. Mais avec le frère de Kalen, ça ne passe pas. Voilà qui n'arrange pas mon moral en berne.

Sam est plus mystérieuse, à mon sens. Malgré notre belle complicité naissante, je la sens encore sur la retenue. Hassan était sa seule famille, et même si les démonstrations d'affection entre eux étaient rares, elle est terriblement bouleversée par sa mort. Elle lâche des informations sur sa vie au compte-gouttes. Après ses révélations fracassantes concernant son goût prononcé pour le fromage, j'ai appris au détour d'une conversation qu'elle a été en couple avec un sous-officier. Avec Mei, on a vite compris que le sujet était tabou. Depuis la soirée film, je remarque qu'elle observe avec attention les moindres faits et gestes de ma meilleure amie. Je soupçonne chez elle une bisexualité non assumée. Voilà qui contraste avec le côté bien trop assumé de la tornade asiatique. Là encore, drôle de duo. En tout cas, Sam est une personne que j'apprécie énormément, malgré sa réserve. Son esprit est étonnamment affuté pour son jeune âge, et elle possède un grand sens moral. On sent qu'elle a été élevée par un militaire possédant de belles valeurs. Et il a été tué par ma faute. Moi aussi je vais avoir besoin de Xanax si ça continue.

Aujourd'hui, je décide de passer à la vitesse supérieure. Sur les conseils de Mei, j'organise une soirée action ou vérité, et je supplie Kalen de lâcher son poste pour y participer. Je vois bien qu'il lui en coûte, mais il accepte de nous rejoindre avec son oreillette. Ses yeux sont cernés. À cet instant, j'ignore ce qui me touche le plus : la déchéance de cet homme que j'aime plus que de raison, ou les menaces nucléaires et selcynes.

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant