Chapitre 37 - Renaître de ses cendres

Start from the beginning
                                    

— Un cheveu.

— Tu as eu une première séance de flaster sur Cassy-3, et une deuxième ici, dans la base de Lausanne où la plupart des rescapés de Tavira ont trouvé refuge.

Puis, effleurant mes bras comme une brise printanière, il ajoute :

— Ces marques disparaîtront.

— Pas le traumatisme de ces derniers jours, articulé-je sombrement. Tu refuses peut-être d'en parler, mais moi, je ne peux passer à autre chose comme ça ! Les souvenirs ne partent pas aussi facilement que des cicatrices, sauf si vous avez aussi une machine qui agit sur la mémoire.

— Je ne comprends pas...

— Terk, Jafro, Hassan... et tous les autres dont je ne connais pas les noms. Kalen, je sais ce que j'ai fait. J'ai bien conscience que ce sont mes mauvaises décisions qui ont causé leurs pertes.

— Tu n'as rien à te reprocher, Lily, me rétorque fermement Kalen. J'ai eu tort de t'enlever et de te retenir contre ton gré à Tavira. Je suis le seul à blâmer. Les oiseaux rares ne devraient jamais être mis en cage. Et tu appartiens clairement à cette espèce. Je ne peux pas t'en vouloir d'avoir voulu reprendre ta liberté par le peu de moyens que tu avais en ta possession.

— Je vous ai trahis en contactant Faraday-23. J'ai causé votre perte et la leur. Je ne voulais pas...

Ma voix se brise et ma tête ploie sous le poids de la culpabilité tandis que mes épaules sont secouées de sanglots trop contenus. Kalen pose son front contre le mien.

— Tu t'es bien rattrapée, je dois l'avouer, fait une voix féminine autoritaire.

— Jofen, marmonne Kalen. Ce n'est pas le moment.

— Oh que si, j'ai des choses à lui dire, réplique le frère de Kalen. Alors, Lyna, tu ne t'attendais pas à me voir ici. Moi non plus à vrai dire. Mais tu m'as sauvé la vie à Tavira. Et tu nous as permis de trouver et détruire tes notes sur nos secrets afin que nous gardions une monnaie d'échange pour une éventuelle trêve, qui selon moi n'arrivera jamais, mais mon avis ne semble pas avoir de l'importance pour mon frère.

— Jofen, nous en avons déjà parlé.

— De toute façon, j'ai bien peur que ça ne serve à rien, soupiré-je. Lee dit avoir réussi à mettre la main sur un flaster.

— Il ne parviendra à rien avec vos médiocres scientifiques et sans tablette explicative, intervient Sayan, les yeux creusés par un manque évident de sommeil. Tes propres notes n'auraient pas suffi. Elles manquent de précision. J'ai constaté que certains concepts neuro..

— Nous avons suivi ton arrivée dans la base enterrée grâce au micro que mon frère a implanté dans ta chaussure, le coupe Jofen. J'avoue que tu m'as surpris. Tu as préféré te laisser torturer plutôt que de révéler d'importantes informations. Je suis admiratif. Sayan m'a beaucoup parlé de toi lors de nos échanges à distance. Il ne m'a pas menti sur ton compte.

— Tu n'as plus à nous prouver ta loyauté, Lily, renchérit ce dernier en adressant un regard reconnaissant à Jofen. Notre Temen Kalen avait raison depuis le début. D'une certaine façon, tu es des nôtres.

— C'est peut-être un peu excessif, grogne Jofen.

— Absolument pas, Jof. Lily était prête à mourir pour nous protéger. Nous devons nous montrer reconnaissants.

— Je n'ai pourtant pas su me taire, regretté-je. J'ai parlé devant Gatien.

— Sans savoir qu'il travaillait pour ce gros lâche de Lee, ajoute Mei. J'ai ma part de responsabilité, moi aussi. Gatien était très discret à Hanoï, je savais que son intégration était délicate et je n'ai pas fait grand-chose pour l'aider. Mais jamais je n'aurais pensé qu'il puisse retourner sa veste contre une place à Faraday-5. Si j'avais su...

— Ils paieront tous les deux pour ce qu'ils ont fait à Jafro, et pour ce qu'ils t'ont fait à toi ! tonne Kalen en caressant mon bras avec une douceur contrastant avec la dureté de sa voix.

— Alors, c'est quoi la suite ? demande Sam. On les suit à Jakarta pour leur faire la peau.

Faire la peau ? s'étonne Jofen.

— Non, ça serait inconsidéré, grommèle Kalen. Nous devons attendre le bon moment. La vengeance se mange froide.

— Est un plat qui se mange froid, le corrige Mei, perplexe.

— Exact, approuve-t-il. Et nous avons... d'autres chats à fouetter. Votre présence ici ne fait pas l'unanimité. Mes hommes, du moins ceux de la troisième escouade ici présente, ne vous dénonceront pas, mais peu seraient capables d'aller jusqu'à mentir si l'on venait à leur poser des questions.

— Je ne comprends rien à vos histoires de chats battus et de vengeance comestible, grogne Jofen. Mais il est certain que notre situation est plus que précaire. Nous allons immanquablement provoquer la fureur du Grand Consul. Il finira par savoir ce que nous avons fait, comme toujours.

— Je ne regrette rien ! s'énerve K avant de se radoucir pour s'adresser à moi. Quand j'ai écouté les enregistrements de ton micro, j'ai cru devenir fou. Jamais je n'avais éprouvé une telle haine. J'ai cru que j'allais perdre l'esprit, Chaton.

Chaton ? s'étonnent en chœur Jofen, Sam et Mei, sous le regard impassible de Sayan.

— Ils agissent tous les deux de manière très étrange, explique ce dernier. Cela me fait penser aux parades d'accouplement de certaines espèces animales.

Mei explose de rire, Sam écarquille les yeux, Jofen fronce les sourcils et moi, je me sens devenir écarlate. Bien évidemment, K n'a aucune réaction. Ah, si ! Un petit sourire en coin.

Sans surprise, nous avons, Sam, Mei et moi, interdiction de quitter notre chambre jusqu'à nouvel ordre. Retour à la case prison. Je constate avec un certain amusement que mes compagnes d'infortune sont tout autant indisposées que moi à se nourrir de ces ignobles gjustres. Mei leur a collé l'étiquette saveur caca de lendemain de cuite tandis que Sam refuse d'approcher un truc qui sent le rat crevé. Que c'est bon de les avoir avec moi ! Je leur raconte alors mes tentatives d'initiation à la cuisine humaine avec Kalen et l'horrible repas qu'il a tenté de me préparer. De fil en aiguille, j'en viens à leur donner des détails sur mes trois mois à Tavira : les soirées avec Sayan et Jafro, les batailles de Candy Crush avec Kalen, les concours de pétanque avec un Terk plus compétitif que jamais, et la soirée strip-poker qui m'a laissé un souvenir... perturbant. Sam et Mei sont abasourdies par mes confessions. J'évoque ma première et désastreuse tentative de fuite après un sabotage du laboratoire de Sayan, puis la seconde, trop écœurée par le projet couveuse pour accepter d'y être associée malgré mon attachement à certains selcyns. Je termine ce long récit par mon appel intercepté par Alger.

— Waouh ! s'exclame Sam. C'est... fabuleux ! Hafid n'a pas voulu m'écouter, mais j'avais raison : une alliance est possible. Kalen et toi représentez notre unique porte de sortie vers une fin de conflit où chaque partie pourra garder la tête haute ! Les connaissances des selcyns pourraient être le début d'une nouvelle ère pleine d'espoir.

— Tu vis au pays des licornes, toi ! rie Mei. Enfin, on peut toujours rêver. Pour l'instant, on va se contenter de remercier le ciel d'être encore en vie. Mais ne passons pas à côté de l'essentiel dans cette affaire. Ça fait quoi de galocher un beau mâle selcyn, Chaton ? Est-ce qu'au moins tu as tâté de son gourdin ?

Oh mon Dieu, si elle savait à quel point ce baiser était exquis ! J'en ai la chair de poule, rien que d'y repenser. Voyant mon trouble, mon amie joint ses mains sur sa poitrine et place sa bouche en cul de poule tout en faisant papillonner ses paupières. Je la regarde quelques secondes et sens le poids qui m'étouffait quitter mon cœur. Je pars dans un fou rire libérateur pendant que Mei se remet à imiter Kalen en déformant des expressions et en y ajoutant une certaine dose de grivoiserie. Sam ne rit pas, mais son sourire est immense et sincère.

Corps étrangers [TERMINÉ] On viuen les histories. Descobreix ara